Promesse

Bienvenue sur mon blogue et cybercarnet personnel. Ce journal intimiste dans ses récits et propos exprime un désir de dépassement et d'authenticité.

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Polarsteps



21 mai |

Les promoteurs et les gestionnaires font la pluie et le beau temps dans la belle province. Les politiciens et les citoyens sont à leur merci. Ils sont sanguinaires, car ils sont payés à la commission et aux primes de rendement. Ils donnent le ton aux travailleurs et aux citoyens. Leurs arguments auprès des élus sont de leur promettrent de gonfler leurs revenus. Le rendement et le profit sont leurs seuls objectifs. Ils n'ont guère de moral et d'empathie, seul comptent les résultats. Ils sont partout. Dans le roman Menaud, maitre-draveur, ils ont commencé à trahir leurs frères et vendrent le pays aux anglais. Certains s'épuisent à la tâche, ce qui n'a rien d'étonnant. Ils viennent qu'à subir les préjudices et les mêmes traitements qu'ils font aux autres. Ils mettent en place un système rigoureux basé sur la performance et qui négligent souvent la qualité des services. Ce n'est pas la qualité mais la quantité de tâches qui importe pour eux. Ils font partie d'un système où nul ne peut s'échapper. Je n'aurais pu survivre dans un tel marasme. Je ne suis pas fait pour ça. Ce système engendre beaucoup de dépressions auxquelles subissent les travailleurs. Il est facile de passer pour un paresseux dans ces entreprises. Il vient un temps où la démotivation s'accélère. La qualité des services en subit les conséquences. Heureusement que ce n'est pas partout pareil. Il n'y a qu'à traverser les ponts pour constater le changement de culture. Il est important que les valeurs humaines partagent ces tâches, sinon ces entreprises sont vouées aux échecs et aux déficits. Le mois de mai n'a pas été réjouissant pour la température. La grisaille apporte son lot de lourdeur et de fatigue. À la télé, on annonce des séries de mesures visant à sabrer dans les dépenses et les services. Pendant ce temps, des grandes entreprises engrangent des profits à la hausse. Où est l'erreur ? Où est l'arnaque ? L'alimentation continue d'afficher des hausses de tarifs et des profits à la hausse. Où est l'erreur ? À chaque jour, des résidents se font mettre dehors par leurs propriétaires. Si je tombe malade, on tentera de me faire savoir que ça ne doit pas m'arriver, car les travailleurs de la santé sont débordés à la tâche. Après tout ça, il faut bien continuer de vivre. Après tout ça, il faut continuer d'espérer que le meilleur s'en vient. Après tout ça, il y a le bonheur. La réalité dans la ville où j'habite, est différente d'une région à l'autre. Il y a beaucoup de gens fortunés et de professionnels à Québec qui déterminent sa culture, sa personnalité. Il y a beaucoup de petits bourgeois. Le Québec n'est pas un modèle enviable pour y vivre malgré les apparences et ce qu'on y raconte. Il est trop tard pour moi de changer de ville ou de région. Je dois m'adapter et fermer ma gueule. Il y a de plus en plus de gens qui doivent la fermer par les temps qui courent. Ça n'a pas toujours été ainsi. L'intolérance atteint des niveaux records à Québec. J'ai de la misère à comprendre ces faits. Lorsque je vais à la campagne, les gens me disent qu'ils deviendraient fous d'y vivre. Certains me trouvent chanceux. J'ai toujours tourné ça dans ma tête, comme quoi il soit peut-être possible qu'aucun endroit existe où je puisse être heureux. Je reviens souvent sur le sujet, comme quoi je tente d'obtenir en vain des réponses. Il faudrait faire un sondage exhaustif auprès de la population pour obtenir des réponses précises sur l'indice de bonheur sur la ville. Le monde autour de moi est tellement étrange. C'est pas pour rien que j'ai tant voyagé et que je voyage encore. Lorsque je reviens, déprimé de voir tous ces visages de plâtre, j'y vois plus clair. J'ai attrapé un rhume ou un virus. Je suis hypocondriaque. À chaque petit malaise, j'ai l'impression que je vais mourir. Il en a toujours été ainsi. J'ai de la misère à côtoyer la maladie, les gens souffrants et les misérables. Lorsque je suis angoissé, je me dis que demain ira mieux. J'ai cessé de lire, je suis moins concentré à le faire. J'ai hâte de voir apparaître la chaleur du soleil pour me chauffer l'épiderme. À chaque jour, à la télé, on raconte qu'une espèce animale est disparaît et que même les abeilles sont en danger. Le harfang des neiges, emblème national du Québec, est en forte diminution dans nos forêts, paraît-il. Faudra remplacer l'emblème par un casque d'écouteurs ou un portable. Les caribous sont moins importants que les travailleurs forestiers à qui on a donné une partie du Québec. Les caribous et les abeilles ne sont pas importants, les grandes surfaces de ce monde oui, pour que tous les faucheurs de nature puissent faire leurs emplettes et que les gestionnaires puissent mettre leur argent emprunté à la bourse.

20 mai |

Voici quelques exemples qui indiquent que les hommes régressent sur Terre. Je citerai par la suite des exemples qui nous ont fait progresser. La détérioration des ressources naturelles, les changements climatiques, la consommation excessive, l'eau potable qui viendra qu'à manquer dans certains pays, l'endettement de tous les pays, la détérioration des dépenses publiques, des infrastructures, des services publiques, les nombreuses guerres et conflits qui s'activent, la montée du populisme, de la désinformation et des régimes totalitaires, l'immigration incontrôlée, la recrudescence de la violence conjugale, des jeunes et des groupes criminalisés, l'itinérance, la consommation de drogues, les problèmes de santé mentale, la pollution, le coût de la vie, la consommation accrue d'internet particulièrement des jeunes les rendant plus vulnérables, la corruption, les conflits d'intérêts, le protectionnisme, les valeurs conservatrices excessives, la perte de confiance envers les institutions publiques, le non respect des aînés, la méfiance accrue, le désintérêt général, la perte de motivations collectives et de repères individuels, la joie et l'espoir de vivre dans un monde de plus en plus incohérent. Ce qui relève du positif de nos jours demeure la liberté d'expression, les valeurs démocratiques, la science et la technologie, les services médicaux et les programmes sociaux lorsqu'ils sont accessibles, les transports en commun, quelques idées et valeurs progressives. Je n'amène rien de nouveau mais il est bon de le mentionner. Faire le point sur la situation actuelle du monde et de sa place dans celui-ci demeure un exercice louable. Des pays comme la Russie, l'Iran, la Corée du Nord, les États Unis sous l'égide de Donald Trump, la Chine à bien des égards, l'Afganistan, Israël et j'en passe ne font pas nécessaire pour permettent aux citoyens de la Terre de progresser harmonieusement et de vivre en paix. Loin de là, ils saccagent et s'accaparent des richesses en déstabilisant et manipulant l'ordre mondial. Lorsque j'étais jeune et que l'on tentait de concevoir l'avenir, il y avait toujours de l'espoir, surtout que le monde deviendrait meilleur. On croyait qu'en contribuant en ce sens que le monde changerait. Aujourd'hui, j'ai cessé de croire aux promesses, j'ai cessé d'espérer de voir le monde devenir meilleur. La seule chose que je puisse espérer, c'est que mon regard se transforme devant chaque petite chose, chaque petit geste en me préservant de la bêtise humaine et surtout de la reconnaître. Je sais qu'il y a plein de gens de bonne volonté tout autour, je n'en doute pas. Ce sont les grandes refontes des valeurs et des visions du monde qui ne se manifestent pas comme je le voudrait. Il n'y a pas de consensus collectif et trop de divergences entre les hommes pour se transformer en profondeur et le monde qui nous abrite. Pourtant, je suis le monde. Il est possible que je sois dans l'erreur et que ce processus agisse très lentement au point de ne m'en apercevoir. Pour évoluer, chaque espèce doit faire un pas en avant et un autre en arrière. Pour progresser, ça prend des essais et des erreurs qui ne se calculent pas en termes de semaines ni de mois. Le problème, c'est que chaque homme a peu de temps à sa disposition pour apporter pour voir les gains notables de son vivant. Je n'ai pas eu d'enfants, je ne comprends pas certaines choses en lien avec la famille. Ceux qui donnent la vie à un enfant et le nourrissent considèrent, avec raison, que ce geste est suffisant pour faire évoluer le monde. Mon destin en a voulu autrement. Je n'ai pas eu ni les modèles ni le soutien nécessaire en bas âge pour y arriver. C'est avant l'âge de la puberté qu'un individu reçoit les symboles et le soutien nécessaire de ce qui adviendra de lui plus tard. Certes, il y a bien des exceptions et des nuances dans mes propos. Les miracles existent, la vie s'exprime et évolue bien souvent dans la désinvolture et la misère. Chaque individu est différent. Certains diront que c'est dans les luttes qu'on apprend à vivre. Certains diront que c'est le dur labeur qu'on apprend à cheminer. Ce que je sais, c'est que je n'en sais rien. Je suis devenu celui qui, là, en ce moment, décrit la vie au lieu de la vivre. Encore une fois, je n'en sais rien. Trop souvent, je suis fatigué à devoir comprendre et expliquer. Ne serait-ce pas plus simple de vivre tout simplement dans la paix et l'amour sans trop me poser de questions ? J'avais un professeur jadis qui enseignait l'histoire des religions et la philosophie. Il disait que les religions sont issues de pays où il est était difficile de vivre. Les gens se sont mis alors à s'inventer un monde nouveau pour éviter celui dans lequel il vivait. Je me suis toujours rappelé de ce commentaire venu de Claude, mon mentor de jeunesse. Dans les pays libres et rempli d'abondance, il n'avait pas lieu d'espérer ou d'inventer un monde meilleur. Il était là simplement tout autour. Il ne suffisait que vivre, tendre la main et s'aimer.

18 mai |

Nos existences sont la somme de nos choix, paraît-il. Comme peuple de la terre, avons-nous ce que nous méritons ? Ne savons-nous faire mieux ? La question se pose. Nous aurons beau être intelligents, bienveillants, volontaires, nous n'aurons jamais toutes les réponses à nos questions. J'ai fait mes choix par nécessité, comme plusieurs. Une ligne de vie m'était déjà tracée en venant au monde. La famille, l'environnement, les expériences m'ont façonné dès mon tout jeune âge. Je ne pouvais faire mieux. J'ai agi avec le meilleur de ma connaissance et avec les ressources dont je disposais. On peut toujours faire mieux. On peut toujours faire pire aussi. On apprend par essai et par erreur. Il n'y a pas d'autres moyens pour arriver à se connaître, si jamais on y arrive. Il y a un temps pour chaque chose. Un temps pour aimer, un temps pour agir, un temps pour se reposer, un temps pour grandir, un temps pour mourir. Les temps morts n'existent pas malgré les silences. Les temps morts le seront lorsque l'on disparaîtra. Le malheur des hommes, c'est qu'il n'y a pas de repos, de répit pour eux. L'illusion est immense au cœur des hommes. La vie est fragile. L'homme est fragile car il sait qu'il va disparaître. Parfois, je discute avec des gens, des voisins. On a très peu de choses en commun à part d'être vivants. On n'a que peu d'intérêts en commun à part de pleurer sur son sort et lire à voix haute le bulletin de nouvelles. Ne sais-je donc pas où est ma place ? Ne sais-je donc pas que mon temps est précieux ? Mon ami me dit en blaguant qu'il est intolérant aux intolérants. Suis-je devenu intolérant en vieillissant ? Ne serait-ce pas que je ne veuille perdre mon temps ? Je ne sais pas trop. Parfois, je ne sais plus rien. Je doute, sauf de la beauté. La nature est belle. Elle se régénère même quand les hommes tentent de la détruire. La nature est plus forte que les hommes malgré les apparences. Des résidents de la ville coupent les arbres pour mieux voir le fleuve. Le spectacle vaniteux est plus fort que la vie. N'est-ce pas étrange qu'on en soit rendus là ? Tout dans la vie des hommes est illusion, sauf ceux qui vivent près de la nature et qui la respectent. Les gens de la ville ne comprennent pas la nature. Ils ne vivent pas pour elle et par elle. Ils sont coupés du monde du vivant. Ils ne vivent que dans leurs têtes qui sont trop pleines de choses inutiles. Le vide existentiel les guettent. Les hommes ont perdu leurs pouvoirs car ils ne vivent pas en autarcie avec la nature. Je ne parle pas au nom de tous les hommes, mais de ceux des villes trop grandes pour contenir leurs rêves. Lorsqu'on étouffe à l'intérieur des murs, les gens s'agitent dans toutes les directions. Ils ne savent plus pourquoi ils bougent et s'étourdissent à en perdre la raison. J'en sais quelque chose pour l'avoir perdu souvent. Des fois il faut la perdre pour la retrouver. Mon ami qui est traité pour le cancer me dit qu'il ressortira plus fort une fois que l'épreuve sera passée. Des fois, je me demande ce que je vais bien écrire le soir venu. Je termine ma page sur une note positive comme j'ai dit hier. J'aime la pluie qui nourrit les fleurs et me berce de sa douceur.

17 mai |

L'idée de chaque projet de voyage me stimule. Qu'il soit au printemps, encore plus. Avant chaque voyage effectué, il en a été ainsi. Ils furent très nombreux, au point de me lasser sérieusement des aéroports, des locations d'auto, des hôtels, des restaurants. Partir en camping-car aux États-Unis est la façon la plus simple et économique pour moi de voyager. Cette façon me rends heureux. Il n'y a aucun intermédiaire. C'est la plus pure des libertés, surtout avec le vélo qui suit. J'ai un petit IPod gros comme une pièce d'un dollar. Il possède plus de deux cents cinquante pièces musicales hautement sélectionnées pour m'accompagner durant le voyage. J'ai pensé à tout. J'ai un petit radio-transistor pour le déjeuner et un autre radio pour le vélo et mes promenades. Cinq ans déjà, que mon campeur et moi accumulont des souvenirs. Sur l'application Polarsteps, tous mes tracés depuis l'acquisition du campeur en 2020 s'y retrouvent. Des textes et des clichés accompagnent chaque arrêt, chaque destination. J'ai pris ma retraite au bon moment afin de profiter de la vie. Je parcoure la route à ma guise en autonomie complète. Ça se gagne, ça se mérite, l'autonomie. Ça n'arrive pas du ciel comme ça, sauf si on provient d'une famille très riche. Je proviens de la rue. J'ai grandi et travaillé dans la rue. Ma famille était pauvre. Tôt dans la vie, je suis devenu un déraciné, un errant. Ma vie tient à un miracle. Quelques personnes de passage m'ont soutenu à leur façon. Ils se reléguaient sans se connaître au milieu du hasard. J'ai eu des anges qui m'ont soutenu. Il n'y a aucune autre signification. Les hasards et la chance existent. D'autres diront le contraire. Ma voisine s'est acheté une bicyclette. Des fourmis se sont propagées dans son logis, la pauvre. L'exterminateur est venu. Je l'appelle madame la comtesse. Les femmes sont des princesses lorsqu'elles sont jeunes. Plus tard, elles deviennent des marquises et des comtesses. J'ai un ami que j'appelait le vicomte. Il n'a pas aimé, croyant que je le traitais de bourgeois dans son luxueux condo. Je dis des mots pour l'attraction de ceux-ci. Je suis imprudent. Je l'ai toujours été jusqu'à tout récemment. De toute façon, c'est pas important. Il faut choisir ses mots lorsqu'on parle aux gens. Les mots sont souvent assujettis aux interprétations. Qui ne vaut pas une risée, ne vaut pas grand chose. Depuis peu, j'ai appris à m'abstenir de parler aux gens. Préparer la paix, c'est souvent se taire. Je n'ai pas toujours agi ainsi. Il pleut. Le tonnerre gronde. Demain, je vais au cinéma. Ma vie est bonne quand je pense à  ceux qui souffrent. Un ami a le cancer. Il a débuté ses traitements de chimiothérapie. Son moral est bon malgré son état de santé. Je sais qu'il lit le blogue. Il a beaucoup de courage. Il a toute mon admiration devant cette épreuve. Mes meilleures pensées vont pour lui. Il guérira, j'en suis assuré. Un jour, j'ai lu : si tu trouves ta vie pauvre, amène vers toi toutes les richesses dont tu as besoin. Je vais commencer à me dire des phrases positives pour qu'il m'arrive de bonnes choses. Que quelques minutes par jour ou avant de dormir devraient suffire. Que la paix, la santé, l'amour et l'harmonie m'accompagnent pour le reste de mon existence. Si j'ai à mourir demain, que je ne souffre point et que la fin soit rapide. J'ai un petit étui dans le campeur bourré de talismans pour me porter chance. Que la route soit bonne d'ici là. Je ne suis pas pressé. 

16 mai |

Je me suis beaucoup raconté dans le blogue. J'avais tellement de choses à dire qui n'avaient pas été exprimées. J'ai eu peur que ma vie allait être oubliée. J'ai eu peur de ne plus me souvenir de cette vie qui fut mienne. Je n'aime pas trop rencontrer des anciens clients, si je peux les nommer ainsi. Je ne tiens pas à revenir en arrière. Je ne suis plus le même. À quoi bon ressasser tout ce passé qui n'existe plus ? Ça me rend nostalgique de revisiter celui que j'étais dans le rôle de mes fonctions. Tout cela est devenu si loin. Ça m'a pris des années de douleurs pour me détacher de ce rôle. Tout a été si vite. L'illusion fut vive en croyant à tort avoir reconstitué une famille dans l'entreprise mise sur pied il y a déjà fort longtemps. J'ai conservé un tas de documents, d'images et de textes de cette époque glorieuse. Le club créé en 1994 a vu passer tellement de gens. Plusieurs sont déjà enterrés, d'autres ne bougent presque plus de par leurs âges ou la maladie. Déjà que j'étais le plus jeune du groupe. Ceux qui ont participé aux activités du club sont aujourd'hui devenus des vieillards. Je continue de m'entrainer, de prendre soin de moi du mieux que je peux. Je l'ai toujours fait avec quelques échappées ici et là. Un ami à moi est très positif vis-à-vis de la société. Je le suis moins, beaucoup moins que lui. Ça ne sert à rien de trop m'étendre sur le sujet avec lui. Ses lunettes sont plus roses que les miennes. Je dis de lui qu'il est by the book. Ça nous fait rigoler aujourd'hui. Ça n'a pas toujours été ainsi. Des fois, il vaut mieux s'abstenir de vouloir changer le monde. Il est trop tard. Le monde s'occupe bien de lui-même sans moi. Le maillon qui me rallie aux autres s'est disloqué. Il est devenu presque invisible. J'ai pris un bain de soleil aujourd'hui. Repos. Renaissance. Les cycles de la vie. Jamais je n'avais vu cela de façon aussi distincte. Quel rôle me reste-t-il à jouer ? J'en ai essayé plusieurs. La société aujourd'hui m'apparait si étrange, si lointaine. Ou bien c'est moi qui m'éloigne. J'ai toujours pensé qu'ailleurs pouvait être mieux. J'ai souvent pensé que demain serait meilleur. J'ai souvent rêvé d'un monde plus beau. C'est pour ça que j'aime tant aller au cinéma. Je vis de plus en plus dans un univers clos. Parfois, je me demande s'il existe pareille solitude à la mienne. La pluie est forte ce soir. La ville sommeille. Dans mon jeune temps, les automobiles étaient moins nombreuses qu'aujourd'hui sur les routes. Les gens étaient moins pressés. Ils avaient des choses à se dire, à inventer. Ils s'aimaient et c'était suffisant. Tout à coup, il fallait toujours plus, toujours plus vite, toujours mieux. Je croise un ancien directeur d'école. Il voyage sans cesse, lui et son épouse, collectionnant les destinations de luxe, les croisières. La fatigue et la vanité se lisent dans son visage. Son dos se courbe. Il est soudainement devenu vieux. Il vient un jour où les ambitions ne suffisent plus. Il vient un temps pour déposer les armes et se reposer. Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Partir pour quelque part. J'ai souvent parti pour quelque part. Je m'en suis fait une raison de vivre. J'ai longtemps cru que j'allais à la rencontre des gens. C'est surtout des rencontres avec moi-même que je faisais. Je ne m'en rendais pas compte jusqu'au moment où j'ai cessé de chercher. Chercher l'amour, des amis, des activités, des slogans, des vérités, de l'argent, de la reconnaissance, de la fierté, de la santé. Chercher à plaire, à se distraire, à grandir, à s'informer, à s'améliorer, à s'éduquer, à convaincre, à gérer, à suggérer. Il y a beaucoup de raisons pour chercher. Il devrait y en avoir tout autant pour cesser de chercher. On ne reste pas tranquille longtemps. On veut toujours aller quelque part, vouloir devenir meilleur, obtenir de meilleures conditions. Je crois que cet été mes pauses seront plus prolongées qu'à l'habitude. Je déteste ce mot. Le mot normal aussi ne me plaît guère. Contemplatif, je le deviens pour compenser la baisse d'énergie et de motivations à m'éparpiller dans toutes les directions. Je trouve amusant de regarder les jeunes bouger sans cesse, simplement pour le plaisir de le faire. La vie les traverse et les entraîne dans la danse. Euphorie. Ivresse.

14 mai |

J'aime la beauté. L'harmonie. Je ne me rappelle pas de tous les endroits que j'ai traversés. Je ne me souviens plus de tous les visages que j'ai rencontrés. Je retourne rarement en arrière. Je prends des photos pour me souvenir. Elles sont bien classées, comme le reste d'ailleurs. Ma mémoire ne fait pas défaut. Je suis ordonné dans tout, sauf dans ma tête. C'est du moins ce que je crois. J'ai fait une longue randonnée à vélo sur la rive sud. Le Vieux-Lévis possède l'un des plus remarquable ensemble architectural du Québec. De majestueux couvents témoignent d'un important patrimoine religieux faisant face au fleuve Saint-Laurent. On entend les mouches voler tellement les lieux sont calmes et paisibles. S'y promener est un retour dans le passé. Au quai de la traverse de Lévis, il y a un parc agrémenté de jets d'eau. C'est un bel endroit, mais il y manque cruellement d'arbres. En traversant sur la rive nord, les autobus sont bondés de gens qui partent ou reviennent du travail. Aux feux de circulation, l'autobus est à mes côtés. La plupart des usagers, le dos courbé sur leurs téléphones, le spectacle est ahurissant au travers des fenêtres. La moitié des gens qui marche à pied regarde leur écran. Sur les bancs publics, même histoire. La plupart des cyclistes de plus de soixante ans ont des vélos électriques. Je suis pas rendu là. Je croise des cyclistes qui font partie d'un club pour aînés. La moyenne d'âge est très élevée. Il y a aussi des pelotons de jeunes gens roulant sur l'adrénaline à vive allure. Je n'envie pas ces groupes. La nature est en train d'exploser de chlorophylle. Je suis heureux lorsque j'enfourche mon vélo à l'extérieur de la ville. Au retour, une douche chaude, un bon repas et la satisfaction d'avoir passé une excellente journée. Il y a des gens, qui comme moi, ont refusé le destin que la société a voulu prétendre choisir. Je me suis choisi à mon gré, non pas sans misère. J'ai toujours cherché en quoi je suis unique. Je me suis forgé une utopie en cherchant à la réaliser. Modestement, j'ai décidé de me prendre en main et ne plus attendre après personne. J'ai été libre en essayant. J'ai réussi. Être libre ne signifie pas être heureux mais moins malheureux. Jacques Attali dans devenir soi est un ouvrage remarquable. Il était là dans ma bibliothèque, sans que je le remarque. Cela arrive parfois quand le temps est venu d'avancer. La vie me mets des signes sur mon passage. Il y a des événements et des voyages qui provoquent une prise de conscience. Me libérer des déterminismes qui m'asservissent est un acte vital. Les crises existentielles et les moments de grande solitude permettent de m'épanouir ou de m'affaisser. Attali dit que le besoin de l'autre est déjà une rupture à soi. J'ai dû m'arracher aux autres pour devenir mon propre créateur. Attali appelle l'événement, la pause et la renaissance des étapes importantes à distinguer. Oser affronter la solitude salvatrice est un chemin dalutaire. Il n'est pas le seul. Je crois avoir créé ma vie. Toutefois, il n'y a pas ou presque pas de repos.

13 mai |

À moins d'un changement, le beau temps arrivera définitivement vers le 29 mai. Je surveille les prévisions météorologiques en vue de mon départ imminent en Nouvelle-Angleterre. Je réalise à quel point je change en l'espace d'une année. Je le ressens dans ma tête et mon corps. Le fait de poursuivre le blogue, même si je n'ai pas trop de choses à raconter, me le prouve. Ces temps-ci, je me pose moins de questions sur la nature et le sens de la vie. Je ne fais que vivre simplement, aléatoirement en acceptant du mieux que je peux les grands silences. Il est impensable de vouloir m'articuler sans cesse tel un chimpanzé. Mon devoir pour bien vivre est d'accepter que ces silences ne viennent contrevenir aux repos du corps et de l'âme. Déjà, j'ai grandement ralenti. C'est surtout ce corps qui m'invite au repos. Je me fatigue plus rapidement qu'autrefois. Je n'y peux rien. Je dois m'adapter. Je connais des gens du même âge qui ne savent s'arrêter. Un jour, ça se refléte dans leurs visages. Tout d'un coup, ils deviennent vieux et fatigués. Écoute ton corps, comme on dit. Parfois, le mien me joue des tours à trop l'écouter. Suis-je trop ou pas assez actif ? C'est pas toujours facile de vieillir. C'est pas facile l'équilibre pour celui qui fut toujours attiré par les extrêmes. Cela demande beaucoup d'humilité et de lâcher-prise. Plus jeune, l'anxiété ne me semblait pas autant présente chez les gens qu'aujourd'hui. Que s'est-il passé pour en arriver là ? Selon moi, le monde virtuel a changé les hommes, que l'on le veuille ou non. Cela paraît facile de mettre ça sur le dos d'internet. Pensons-y bien un instant. Les jeunes gens, au plus loin de leurs mémoires, internet fut présent, clavier en permanence au bout des doigts. Venir au monde avec un téléphone à la main jusqu'à l'âge adulte et plus encore, représente un changement de paradigme important dans l'histoire des hommes. Jamais dans l'humanité, pareil modèle n'est apparu de façon aussi rapide et brutale. De quoi plombé la face du monde dans un délire technologique. C'est maintenant que d'importantes stigmatisations se présentent à nous. C'est maintenant que les problèmes de santé mentale nous sautent aux yeux. Des séquelles permanentes se sont implantées insidieusement, modifiant considérablement la culture, notre regard sur le monde et notre identité. On ne peut arrêter le progrès, comme on dit. C'est simpliste cet énoncé. Internet est tellement imbriqué dans l'économie qu'il a fait de nous des êtres serviles et dépendants. Les entreprises qui mettent au point les technologies savent comment manipuler les consommateurs et faire de nous des esclaves. Ils se servent de nos émotions pour nous étreindre davantage. Le plus insidieux, c'est que ça commence dès le plus jeune âge. Ce ne sont pas les téléphones qui sont mauvais en soi, mais l'usage que l'ont en fait. Il crée l'illusion de se rapprocher des gens alors que c'est l'inverse qui se produit, sans vouloir généralisé mes propos, car des nuances s'imposent. Nous sommes devenu nos propres bourreaux. C'est dommage pour nous. Tant pis pour nous. Le mal m'a aussi atteint, me rendant addict comme la plupart des usagers. Voilà ! J'ai exprimé dans le blogue mes préoccupations quotidiennes. Au gym aujourd'hui, tous avaient un téléphone sous la main, ne voyant même pas qu'il y avait des gens autour d'eux. Cette réalité m'est difficile à supporter. Il me reste qu'à dire ironiquement, en terme totale de soumission ; c'est ça la vie. Et puis, je passe à autre chose.

12 mai |

Des arbres matures ont été plantés à ma fenêtre. Ça me réjouit. J'ai fait quelques montages paysagers. Je me sens entouré de chlorophylle. Des oiseaux et des insectes seront visibles pour mon grand bonheur. Le bonheur parfois ne tient qu'à peu de choses. Il y a des secteurs de la ville où je n'irais pas habité. Cela fait trois décennies que j'occupe mon logis. C'est quelque chose, moi qui avait déménagé plus de vingt-cinq fois avant mes trente ans. Les deux plus grandes stabilités de ma vie furent mon entreprise qui a perduré pendant trente ans et mon appartement. Avant cela, tout n'était que feux de paille. Je croise parfois un nouveau locataire dans mon immeuble. À mes dix-huit ans, j'ai travaillé comme serveur au Dagobert sur la Grande Allée pendant quatre ans. En face, il y avait une discothèque de reggae, aussi fort populaire, l'Essentiel. À cette époque, les bars et les discothèques pleuvaient sur la ville. C'étaient les premiers groupes de funky noirs. Personne ne voyait de noirs à Québec dans ces temps-là. Le grand type de mon immeuble était le barman de la discothèque d'en face. C'était un véritable playboy doté d'un charme incroyable. Il était très grand, tout comme sa sœur plus âgée que lui que je croise parfois dans la rue. Elle aussi devait être une très jolie femme. Aujourd'hui, celui que je revois est devenu un mort vivant. Paralysé, le teint gris et cireux. Ses cheveux sont d'un gris de celui qui a vieilli trop rapidement. Il boîte, n'affichant plus la confiance de ses vingt ans. Drogue, alcool ou maladie, je ne sais guère. Plusieurs prenaient de la cocaïne, dont un collègue, Yvan, qui en a fait grand usage. Lui aussi, la maladie l'a traversé. Plusieurs visages croisés de ma jeunesse ont mal vieilli. Certains avaient de bonnes habitudes, d'autres moins. On ne sait jamais quand le sort va nous frapper. Il y en a ceux qui n'ont pas de chance. Il y a ceux qui se négligent. Il y a ceux dont la maladie leur courent après comme des abeilles. Depuis un mois, mes habitudes alimentaires sont excellentes. Je le ressens dans ma tête et mon corps. Je fait des efforts. Un autre voisin avec qui je m'adresse occasionnellement se néglige passablement aussi. Nous sommes du même âge. On est né à une semaine d'intervalle. Il provient de la Gaspésie, ça parait. Il est généreux et courtois. Je suis entré à quelques reprises chez lui. La fumée de cigarette et d'autre sources est si forte que je peine à respirer, m'étouffant sans cesse. Il n'y a plus de blanc sur les murs d'origine blanche. La crasse inonde les moindres recoins de ce hangar délabré qui se poursuit sur son chandail. Son ventre boursouflé indique une mauvaise nutrition. Il sait qu'il doit changer, le fera-t-il ? Ainsi va le monde, passant de la splendeur à la misère. Par chance que les bourgeons éclorent ces jours-ci pour mettre de l'espoir à ceux qui le méritent et me faire apparaître des paysages somptueux que la misère ne semblent pas atteindre.

9 mai |

Je me suis toujours entraîné au plus loin que je me rappelle. Je vais au gym depuis mon adolescence. Cardio, gym, yoga, sorties de raquette, randonnée pédestre, vélo. Je n'ai jamais arrêter de faire de l'exercice. Seul le ski de fond que j'ai cessé à cause d'une chirurgie au pied. Pendant plus d'une quinzaine d'années, j'ai mis sur pied une ligue de badminton et de volleyball. Je n'étais pas très bon à ce dernier. Depuis toujours, je me suis ennuyé. À trente-cinq ans, j'ai décidé de créer mon propre club d'activités sociales et sportives, de plein air et de voyages d'aventures. Durant les trente années qui suivirent, j'ai cessé de m'ennuyer. Pour aller au centre d'entraînement, je prends la rue St Gabriel. Elle est perpendiculaire à la rue Saint-Jean. J'y ai habité à trente ans. Depuis l'an dernier, la rue a été réaménagée avec bon goût avec d'autres du quartier. Elle ressemble aux rues que l'on retrouve en Europe. Certains secteurs de la ville ont grandement besoin d'amour et de vitalité. Il y a quelques espaces verts, des arbustes et des arbres sur le terrain de mon immeuble. C'est pas mal. Le quartier où j'habite fait la jalousie de plusieurs. Le coût des logements et des propriétés y sont très élevés. Peu de nouveaux arrivants y habitent pour cette raison. La plupart des résidents sont des professionnels. Les arbres y sont splendides le long des rues, apportant beaucoup de charme et d'ombrage l'été. J'ai accès à de nombreux commerces que je peux faire à pied. J'ai identifié un centre communautaire à quelques rues où j'ai peut-être l'intention de faire du bénévolat l'hiver prochain. J'ai un contact à cet effet qui pourrait possiblement m'introduire. Les contacts sont importants. Le club que j'ai fondé en 1994 a existé pendant trente ans. J'ai servi de catalyseur à des centaines de gens durant toutes ces années pour qu'ils se créent des liens. J'ai négligé de tisser pour moi-même des liens intimes et personnels. Je croyais certaines choses acquises. Ce fut une erreur de ma part. Je ne sais pas comment j'aurais pu faire de mieux. Je maintenais le club vivant. C'était à mes yeux le plus important. Ma peine fut grande, c'est peu dire, à la fin de cette aventure qui m'a littéralement maintenu vivant pendant toute ces années. La fin abrupte fut causée par la pandémie, une certaine lassitude et l'individualisme exacerbé de la société en lien avec les médias sociaux. J'ai cru que j'étais lié avec une multitude de gens au fil des années. Le choc fut brutal en apprenant qu'il n'était rien. Ce ne fut qu'une gigantesque aventure. Les gens ne firent que passer comme le vent. Il fallait bien me détacher de tout ça à la fin. Il fallait bien que je dépose le masque et le rôle que je m'étais créé inmanquablement. Je peine à me reconnaître seul, ayant côtoyé tant de gens. Les camions nettoient les rues. Les fleurs poussent. J'ai tant de souvenirs qui trainent que je n'arrive plus à les contenir. Une personne me dit l'autre jour de me considérer chanceux de m'être rendu à mon âge. J'ai fait ce que j'avais à faire avec les moyens à ma disposition. Ces trente années m'ont mis au monde. Je crois que c'est cela. Continuer à me maintenir en forme avec assiduité est mon leitmotiv. Éviter les ennuis et les contrariétés si possible est un gage de sérénité que je m'emploie à maintenir. Mon amie habitera sous peu dans son nouveau logis. Je suis heureux pour elle. Je suis heureux pour nous. C'est ce genre d'aventure qui me séduit depuis la retraite et qui m'a cruellement manqué. J'étais trop occupé ailleurs. Ma tête n'était simplement pas prête autrefois pour accueillir ce précieux cadeau du ciel.


8 mai |

Il y a beaucoup de mouvement et de tâches inutiles dans une vie. Une amie me mentionne que la moitié des employés de l'entreprise où elle travaille font des burn-out ou quelque chose qui s'y apparente. Cela ne m'étonne pas à voir les gens vivent autour de moi. Aujourd'hui, j'avais des courses sur la rive sud. De ce côté, il y a encore de l'humanité, chose que je retrouve de moins en moins de ce côté du fleuve. Les gens sont plus affables, plus lents. Ils ne négligent pas de saluer et sont manifestement moins stressés. La différence me saute aux yeux lorsque je traverse les ponts. Mes affaires sont à jour. La forme est au rendez-vous. J'ai perdu une dizaine de livres en un mois. Ça paraît sur mon énergie. Une réparation mineure mais importante a été réalisée sur le campeur. Il est prêt pour la route incessamment. Léon XIV vient d'être élu pape. C'est le premier pape américain. C'est bien pour les États-Unis qui avaient grand besoin d'un leader moral pour équilibrer les forces du mal que Trump parseme sur son chemin. Je me demande si ce choix est en lien avec l'argumentaire politique. Ma vie est d'une grande simplicité. À la radio, un animateur populaire discutait morale en lien avec la retraite hâtive. Je suis perplexe devant ces propos. On dirait que tout s'active depuis quelques temps pour nous ramener en arrière. Peut-être sommes-nous allés trop loin par en avant en négligeant certains paramètres ? Il faut frappé le mur bien souvent pour réagir devant les dangers imminents. C'est dans la chute que l'on apprend et surtout se relever. Sans cela, les hommes n'apprennent pas, dirait-on. J'ai besoin de peu pour vivre. D'amour, d'eau fraîche, de bons aliments, un abri modeste et des services de proximité. Je suis préoccupé devant les problèmes d'accessibilité de soins de santé du Québec depuis très longtemps. Pire encore, la situation se dégrade. Le système de santé est à l'image de la société, c'est-à-dire malade. En allant sur la rive sud aujourd'hui, je prends conscience de la culture que m'imprègne mon quotidien. Lorsque tout agit dans un sens, il y a peu à faire. Les résistances sont trop fortes pour y changer quoi que ce soit. De ce côté du fleuve, mes actions aussi nobles soient-elles, sont comme de minuscules gouttelettes d'eau qui s'assèchent avant de se poser quelque part. Il faudra bien un jour que de véritables réformes se manifestent avant de sombrer toujours plus profondément. Est-ce trop demander aux jeunes de déposer leurs téléphones quelques heures, comme le veulent les décideurs ? Le voyant rouge clignote pourtant depuis fort longtemps. Comment se fait-il que nous n'ayons pas encore trouvé autre chose pour nous assurer un meilleur avenir et un bonheur plus durable ? Chaque jour, je m'inquiète du sort de la ville où je suis né. Je reconnais heureusement que ce n'est pas partout pareil. Je me sens lâche de ne pas avoir réussi à quitter ces lieux. Fort probable que j'avais quelque chose à apprendre ou à gagner d'y rester. L'avenir, s'il m'en reste, me le dira.

6 mai |

J'ai eu ma première expérience de réflexologie aujourd'hui. C'était très bien, mais la dame puait de la bouche. Par chance qu'elle était à mes pieds. Je ne répéterai pas ce traitement, quoi qu'il soit efficace. C'est trop dispendieux pour mes moyens. Une balle en caoutchouc fera l'affaire en la roulant sous le pied. Bientôt, le temps des fraises. J'ai l'eau à la bouche en y pensant. En attendant, il y a celles d'autres pays. Il est rare que je sorte sans que je ne trouve rien dans la rue. Mon logis est rempli de souvenirs et de choses trouvées au hasard. C'est assez incroyable. J'ai toujours adopté la simplicité volontaire. Pas toujours par choix. J'ai quand même bien profité lorsque je travaillais. Hôtels, grands restaurants, billets d'avion, multiples destinations grandioses et et j'en passe. Mon travail de guide d'aventures m'a permis de goûter à quoi ressemble la grande vie. Je n'étais pas libre, mais je me plaisais à faire ce travail et les responsabilités qui incombaient à la tache. Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'avoir réalisé plusieurs de mes rêves. Selon les statistiques, je vis au seuil de la pauvreté avec mes rentes. Il y a pire que moi malgré tout. Je n'envie pas les travailleurs de nos jours. La pression est énorme pour joindre les deux bouts, sans compter la charge de travail qui ne cesse d'augmenter. Je n'ai plus aucun désir de travailler à nouveau, même pas quelques heures. M'impliquer non plus, du moins pas pour l'instant. J'ai d'autres projets en tête. Le beau temps se fait attendre. Les gens vont devenir cinglés aux premières grandes chaleurs. J'habite aux premières loges pour voir le spectacle, habitant près de l'avenue Cartier. Il y a un parc de bicyclettes électriques en location tout près de ma fenêtre. Ma rue, lorsque le beau temps arrive, est un tronçon majeur de piétons. C'est encore mieux que les autos. Tard dans la nuit, les jeunes font la fête en passant à mes fenêtres. C'est à ce moment que je dois quitter la ville avec Béa, mon campeur. Il serait impensable pour moi de rester toute la semaine dans mon logis lorsque les beaux jours arrivent. Toutefois, je suis chanceux d'habiter à côté du parc des Champs-de-Bataille. S'il n'existait pas, je serais malheureux. En franchissant le seuil du parc, les odeurs d'herbes et de fleurs me sautent au nez. Tout à coup le calme s'installe. C'est mon paradis urbain. C'est le seul endroit de la ville qui me plaise avec la terrasse Dufferin pour voir des gens heureux. Ailleurs n'est que circulation automobile et voies de passage. J'exagère, je sais. Le Vieux-Québec a du charme, mais il manque cruellement d'arbres et il y a trop de monde l'été venu. Les québécois n'ont jamais eu de bonnes relations avec les arbres comparativement aux anglophones. Je recherche la beauté. Je ne la vois pas dans le trafic, sur le bitume et sur les avenues. C'est pour ça que j'ai tant voyagé. Dans deux semaines, je serai en route vers l'aventure aux États-Unis. Je partirai juste au bon moment, après la fête de la Reine. Ce long weekend, les gens ne fêtent pas la reine, mais le congé qu'il dispose. C'est la porte d'entrée de la belle saison avec la floraison, les oiseaux, le vélo et les jolies femmes. Tout d'un coup, le monde est gentil et souriant. Le contraste est frappant avec l'hiver. J'apporterai quelques livres en voyage. L'un d'eux porte sur la confiance en soi. Parfois, il m'en manque. Il paraît qu'il en est ainsi pour les poissons, mon signe astrologique. Ils ne nagent jamais en eaux calmes, ceux-là. Mon blogue qui me sert de journal m'accompagnera. Il se voudra beaucoup plus léger qu'en hiver. Une chose est certaine, c'est que l'appel de la nature est plus fort que tout. Rien ne m'empêchera de déguerpir en mai vers de plus joyeux pâturages. J'ai une date de départ mais pas celle du retour. J'ai tout mon temps.

5 mai |

La forêt et la rivière m'ont accueilli ce weekend. Dans une semaine sera la période où les oiseaux seront les plus nombreux dans les arbres. Dans une semaine, le vert tendre du feuillage renaîtra en même temps que nous. Le goût de lire a passé. Pas celui d'écrire. Que c'est étrange. Je me surprends à ouvrir le téléviseur en soirée. Je le croyais absent de mes désirs. J'alterne mes habitudes comme au gym avec les exercices. Sinon, je cesse de progresser. Cela vient avec le changement de saison. Je suis en train de muer vers quelque chose que j'ignore. Jamais je ne le saurai. À chaque instant, je me transforme. Une année dans la vie d'un homme est si peu et à la fois si grande. Une année dans la vie d'un homme n'est rien en lien avec l'univers. Une année dans la vie d'un homme c'est immense. Le temps passe. Tout passe dans la vie des hommes. Je ne dois pas trop y penser. Ça me donne le vertige. En écrivant, j'écoute de la musique baroque que j'adore. Il y a aussi les chants religieux. C'est apaisant. Cette musique me nourrit. Elle me fait traverser les siècles. J'ai une amie qui est belle et que j'aime. Nous nous complétons. Nos énergies rayonnent en simultané. Nous marchons dans la même direction. Ça sécurise de traverser la vie avec un être cher. Je suis optimiste avec mon amie. Nos conversations sont profonds et sincères. On rit beaucoup ensemble. Mon blogue a changé d'allure depuis peu. Moi aussi. Un voisin, Karl, me demande à chaque jour, le croisant assis sur le balcon de l'immeuble quel jour nous sommes. Sa santé se dégrade rapidement. Il se néglige. Il ne le sait pas. Une crasse immonde l'habite. C'est triste de le voir échouer de plus en plus à chaque jour, brûlant cigarettes après cigarettes dans sa déchéance. Il n'est pas le seul. On n'y peut rien. Nous n'avons ni la force ni la volonté de changer le monde et sa misère. À  peine pouvons-nous se transformer. Notre existence exige des efforts de notre part au quotidien pour continuer d'avancer sereinement en bonne santé physique et mentale. C'est le travail de toute une vie. Manquer de vigilance et notre vie qui ne tient qu'à un fil se termine rapidement. Plusieurs baisse les bras au parcours. Il y a des choses qui nous sont impossible de faire pour changer le parcours. Il y a aussi des choses qu'ils nous est possible de faire pour améliorer notre sort. Ce qui est difficile, c'est de faire la différence entre les deux. Ce n'est pas en accumulant richesse et savoir que je serai plus heureux.  On ne peut être jamais satisfait de notre sort. C'est ainsi que les hommes vivent. Ils cherchent toujours à s'améliorer par différents moyens. Les hommes sont en mouvement perpétuel. Rien ne changera. Cela peut paraître insensé. L'homme est un animal insensé. Ça ne sert à rien de vouloir le transformer. Il le fera lui-même par ses expériences. Il ne lui suffit qu'un modeste terreau pour exister et se répandre. La musique m'inspire. Le soleil réjouit mon cœur. Demain est un autre jour. Quelle sera la prochaine surprise ? Qu'apprendrai-je de nouveau demain ? Le seul fait d'être vivant et la possibilité de m'émerveiller du grain de sable et du temps qui fait devrait me suffire.

2 mai |

Peace and love. On en a besoin. Il est bien loin le temps où l'on parlait d'amour et de paix. Lorsque j'allais en Italie, je me demandais comment était-ce possible que tout ne s'écroule pas dans le pays. Il y a une forme d'anarchie et de chaos qui règne, sans parler des bâtiments qui risquent de tomber à chaque coin de rue. Il en est ainsi dans plusieurs pays. Le Québec n'y échappe pas. La province se trame de rapiécage. Un manque d'amour se reflète ici et là. Tous les services publics n'y échappent pas, surtout le système de santé et les programmes sociaux. Ceux qui ont déjà conduient chez nos voisins du sud comprendront ce que je veux dire. La gestion publique n'est pas efficace. La gestion du Québec inc. n'est pas saine. Ce n'est pas la faute de personne. C'est la faute à tous. La volonté collective n'y est plus. Sans l'apport de tous les immigrants, le Québec serait cruellement en pénurie de main d'oeuvre. Sans l'apport des immigrants, il y aurait plus de logements et moins d'encombrement dans les services sociaux. Le monde parfait n'existe pas. La belle province est repliée sur elle-même, dans sa culture, dans sa façon de vivre. Il ne s'agit pas seulement de besogner. Il s'agit d'amour en partage, de valeurs à répandre, de la joie d'être ensemble. Les gestionnaires et trop de gens travaillent en vase clos. Une protection accrue de certaines classes de gens créée des clivages. Qui suis-je pour critiquer de la sorte  ? Pourtant j'ai déjà mis la main à la pâte. J'ai contribuer que maintenant j'aimerais profiter de la retraite. Je ne désire pas m'impliquer. Le goût n'y est pas. J'ai déjà beaucoup donné. Le compagnon russophone au gym me dit qu'il quittera le Québec pour aller vivre en Europe de l'Est. Il ne retrouve pas ici les valeurs et les rêves qui l'habitent. Il a beaucoup voyagé. Il sait de quoi il parle. Je l'appelle l'espion. Ça le fait rire. Nous sommes d'accord sur différents points de vue arborant la ville et sa culture. Une Dominicaine vient me parler. Elle quitte le gym cette semaine. Elle possède le visage le plus rayonnant et souriant du centre. C'est une personne profondément humaine. Elle dit qu'ici dans le centre qu'il n'y a pas d'amour, d'amitié et de joie. Je pense exactement la même chose. Elle cueille les fraises à l'été en chantant. Les gens s'entraînent, ignorant tous ceux qui les entourent. Leurs téléphones sont accrochés à eux comme faisant partie intégrante de leur physionomie. Les autres n'existent qu'à travers leurs écrans. On va bannir les téléphones cet automne dans les écoles. Il me semble qu'il est trop tard. Le mal est déjà fait. Le spectacle est triste à voir au-delà des beaux bodies et des vêtements à la mode. C'est pathétique. Je n'avais pas préparé outre mesure ma retraite à part du campeur. C'est quand même quelque chose de se lever le matin en pleine nature ou dans une joyeuse campagne. Chaque soir, un lieu différent. Rien de mieux pour contrer la routine et le même décor de son logis. Lorsque les finances font défaut, les options sont limitées. Je survis avec le minimum. Je reconnais quand même avoir de la chance, mais ma joie n'est pas à son comble. Je ne ressens pas les vibrations nécessaires à l'élévation de mon âme dans cet univers burlesque. J'ai toujours l'impression de devoir me battre pour faire ma place et récolter un peu d'amour. En attendant je ne sais quoi, j'écris pour faire le point et passer le temps. J'ai hâte au beau temps pour traverser la frontière en campeur à la recherche d'humains à qui échanger.

1er mai |

Un hodophile est quelqu'un qui aime le voyage et l'aventure. Je crois l'avoir toujours été. Sans cela, la vie m'apparaîtrait triste et monotone. Par chance que le cinéma existe. Parfois, j'y vais lorsqu'il fait beau. J'ai tout mon temps d'être dehors au soleil. Je remarque que les gens achètent plein de trucs lorsqu'ils sont déprimés. Il y a beaucoup de gens déprimés dans les centres commerciaux. Ça ne paraît pas comme ça. Ceux qui y travaillent le sont aussi. Pas tous. Certains savent qu'ils ne travailleront que sur une courte période. Un voisin sortira de l'hôpital. Son estomac a éclaté par la boisson. Son ami lui demande s'il a encore soif. Il lui dit de se mêler de ses affaires. Je ne lui parle pas. C'est mieux ainsi. Dans mon immeuble, il y a beaucoup de pauvres gens. Les logements abordables les abritent. La plupart vivent seuls. J'ai une voisine que j'aime bien. On mange un plat d'olives à l'occasion. Elle a toujours un large sourire. La vie est pas toujours facile. Parfois, je me demande à quoi ça sert de vivre. Il y en a qui ont des raisons de vivre. Moi, j'en trouve pas beaucoup. Il y a les fois où je réussis à bien méditer. Il y a des moments où je sens la terre fraîche au soleil ou sous la pluie. Il y a les balades à vélo. Les lilas. La musique sur la route. Il y a le sourire d'une amie dont je ne sais pas si elle sera toujours là. C'est pour ça qu'on prend des photos. C'est pour se rappeler d'eux lorsqu'ils nous quittent. La vie est difficile car on sait qu'on va partir. Ce n'est pas autant de mourir qui m'ennuie que de souffrir. Je devrais être joyeux avant mon départ. Mon cœur dérive. Des fois, il y a des solutions. Des fois moins. Il m'arrive souvent de ne pas en avoir du tout. Dans ces moments, j'attends. J'essaie d'écrire. C'est pour ça qu'on fait des projets. Rester seul longtemps avec soi-même est déroutant à la longue. D'autres s'en accommodent. En vieillissant, on ne peut plus se fuir. La moindre négligence se paie très cher. En vieillissant, on ne peut tricher. Être soi, avec soi en permanence, est exigeant. C'est pour ça que la fuite existe. C'est pour ça que j'aime dormir. C'est pour arrêter de me demander ce que j'ai à faire de tout mon temps. Ça n'a pas toujours été ainsi. Ça doit être comme ça quand on vieillit seul, j'imagine. Je rencontre une vieille connaissance, Robert qui a mon âge. C'est un dandy. Il a hérité d'une fortune. Il dit aimer les gens. Il me raconte des histoires sur sa copine. Il dit être intolérant en vieillissant. Ça lui arrive aussi avec elle. Je croise beaucoup de passants où j'habite. Plus il y a de gens qui m'entourent, plus je me sens seul. Ça m'inquiète. Une chance que mon campeur est présent pour me rappeler qu'il existe des ailleurs. Que ferais-je sans cette possibilité de m'évader loin de la foule  ? Je discute avec des nouveaux arrivants. Ils me racontent des choses sur la culture ambiante de la ville. Il y a un rapprochement entre quelques-uns d'entre-eux et moi-même dans mon sentiment de me sentir étranger dans ma propre ville. Je ne l'ai pas choisi, je la subi. Par chance qu'il y a les matins, les petits déjeuners, l'espoir d'une nouvelle journée, les rencontres fortuites.


29 avril |

Je regarde le lac comme si c'était la première fois. Des canards s'amusent. Le soleil est chaud au lac des Sources. Dans la journée, j'ai fait ma première randonnée à vélo de la saison. Je suis dans Lotbinière, le plat pays. Le vent est fort. Les chevaux mangent l'herbe dans les enclos. Mon odomètre affiche soixante kilomètres au retour. On m'avertit de déguerpir avec la van, sur le terrain près de l'eau. Pourtant aucune affiche me défend d'y stationner. Il y a quelques beaux petits lacs. Malgré la proximité de la ville, ça sent bon la campagne. Les boisés sont généreux. Les oiseaux chantent le printemps. Je me stationne plus loin sur le bord du lac, les roues à moitié dans la rue. Je m'endors paisiblement après le coucher de soleil. Je vais bien. Je n'ai eu aucuns voyages ou weekends de ressourcement cet hiver à part quelques trop rares sorties de raquettes. Cette escapade arrive à point après une semaine tumultueuse remplie d'émotions. L'habitacle du campeur est petit. Je dois m'y faire. C'est le seul que je possède. Je pense à tous ceux qui n'ont pas cette chance d'en avoir un et qui croupissent l'été en ville. La nuit est froide. Je suis agité. Cette légère fugue n'est que le prélude de plusieurs excursions à vélo. J'ai perdu du poids depuis un mois. J'ai encore dix livres à perdre. À la fin mai, je vais rouler dans les Berkshires au Massachusetts et dans les Catskills de l'état de New York. Mon programme est déjà établi. J'y suis déjà allé. Cette fois, je vais approfondir quelques secteurs soigneusement sélectionnés. La canopée est plus abondante qu'ici. Nos arbres sont petits comparativement à nos voisins du sud et de plus, ils les chérissent. La ville est venue planter deux beaux arbres sous ma fenêtre. Un projet d'embellissement paysager verra peut-être le jour sur le terrain de mon immeuble. Le mois de mai est le plus beau de l'année. Un ami me dit de monter au balcon lorsque j'ai des émotions. J'arrive à comprendre ce qu'il dit. Les marches sont hautes. Il paraît que si on fait une mauvaise action, l'univers entier nous le fera payer. Si je fais une bonne action, l'univers me le rendra au centuple. Je commence à y croire. Je n'ai qu'une petite envie d'écrire. Je fais un effort. Sinon, que devrais-je faire ? J'ai bien compris que je devais faire des pauses de tout ce charabia. Il se sert à  rien de courir surtout à mon âge. De toute façon, personne ne me lit, preuve à  l'appui. Et puis à quoi ça sert ? De toute façon, ça m'intéresse personne. Les gens aussi ont leurs histoires. J'aime la campagne pour les liens étroits que les gens tissent entre eux. La campagne est moins tranquille qu'elle n'en a l'air avec tous les réseaux d'amis et la parenté. Dans une autre vie, je n'habitais pas en ville. Surtout pas les grandes. Je n'aime pas les grandes choses que les hommes construisent. J'aime la nature apprivoisée, les petites villes belles et tranquilles ou presque rien ne semblent se passer. En ville, je rêve et j'ai toujours rêvé de vivre loin de la foule. Juste la présence des gens que j'apprécie et que j'aime me suffirait. L'été j'irais pêcher avec des amis, l'hiver, je referais le monde devant le foyer loin du vacarme et des gens pressés. Au lieu de changer d'adresse, j'ai traversé les paysages. C'est mieux que rien. Je ne connu personne habitant la campagne. Même si j'en connaissais, on n'aurait pas grand-chose à se dire tellement nos vies sont différentes et que les distances nous séparent. En vieillissant, je parle moins aux passants. Ce n'est pas que je n'aille rien à dire. C'est plutôt les occasions qui manquent. Ça y est, j'ai réussi un petit chapitre. Il faudra bien que je me pratique un peu avant mon départ. Voyageant seul, je dois bien écrire, si je ne veux pas perdre la carte, comme on dit. Je trouverai quelques livres sur la confiance en soi pour le voyage car elle s'effrite parfois sans m'avertir. Écrire me permet de prendre ma température. Si l'envie n'y est pas, c'est que ça ne va pas ou bien que je suis trop fatigué pour le faire. C'est étonnant de voir comment je change en si peu de temps. C'est étonnant comme tout change autour de moi.



Prémice

17 avril |

Prémice est le nom de ce dernier chapitre. Prémice est quelque chose qui s'en vient et que j'ignore. De toute ma vie je n'avais écrit de façon si abondante et soutenue. Jamais je n'aurais cru avoir tant de choses à dire. Un repos mérité s'impose pour déposer tout ce tumulte et vacarme émotif, car il en est un. Tout geste créateur est à la fois libérateur et épuisant. Intense mouvement. Une distance avec le mental est devenu nécessaire pour me ressaisir, me renforcir. Laisser dissoudre cette vague déferlante de ma tête. De douces méditations et un recul s'imposent pour créer un espace libre de toutes contrariétés en laissant de côté mes profondes réflexions. Vivement le soleil pour réchauffer mon corps et apaiser mon esprit. Ce matin, c'est curieux comme la musique est douce à mes oreilles. Et si le calme reviennait. Carpe diem.

14 avril |

Je n'aime ni la morale ni la psychologie. La morale m'a toujours parue louche. Toute culture est un système de référence que chacun, à son gré, peut chérir ou rejeter. Tout livre renvoie à d'autres livres. Mon blogue n'est qu'un numéro de plus dans un long catalogue sans début et sans fin, guetté par l'ennui, l'oubli ou la banalité. Ma couche de propos s'accumule et finit par étouffer les œuvres. La lumière des mots est la culture. Je lis par hasard. J'ai souvent fait les choses par hasard. C'est fatigant, en même temps nécessaire. J'ai passé au peigne fin tous les livres de ma bibliothèque. Ça m'oblige à faire travailler mes méninges. Peut-être faut-il que je les reposent  ? C'est parfois difficile de savoir ce que je dois faire à part les courses. Des fois, je crois devenir fou entre mes murs. Je n'ai pas grand-chose d'intelligent à dire depuis quelques jours. Samedi dernier, quelque chose a changé depuis mon malaise. Cela m'a fait prendre conscience de ma fragilité, de ma finitude. Je ne sais pas combien de gens me lisent. Je serais curieux de savoir. Que les mains se lèvent si vous êtes présents. J'ai l'impression de flotter dans l'espace infini, dans le vide sidéral. Il fait froid. C'est le noir. Je vois des étoiles à des milliers d'années-lumière. C'est comme s'ils n'existaient pas. Je perçois les gens comme ça. Ils rayonnent. Ils sont inatteignables. Je voudrais raconter de joyeuses histoires. Je n'y arrive pas. Le silence m'enivre. Les mots me tiennent compagnie. Ils ne me quittent pas. Ce soir, j'ai pas grand-chose à dire. Je suis au bout du rouleau. Jack Kerouac a écrit : sur la route en continu sans espaces, sans paragraphes sur un rouleau, tout d'un trait. Un livre écrit en trois semaines. Il était au bout de son rouleau. Jack a erré sans cesse. Une de mes guirlandes de lumières multicolores s'est éteinte. J'ai l'impression d'être à Noël à l'année. Demain est un autre jour.

13 avril |

Je m'attends, dans les prochains jours, à de virulents maux de tête. Je cesse de boire du thé. La caféine est présente dans ce breuvage, ce qui le rend addictif. Il irrite le système digestif à trop abuser comme j'ai fais. Il déshydrate et rend nerveux en abondante consommation. C'est un stimulant, le café un excitant. La sagesse ne m'a pas complètement atteint. Cela aura pris de vives douleurs pour comprendre ce qui m'arrivait. Écoute ton corps, qu'on dit. Je suis têtu et gourmand, trop. Voilà pour une partie de mon bilan médical. La bonne nouvelle, c'est que je suis encore vivant. Je lis, c'était bien de Jean d'Ormesson, décédé il y a quelques années. Il fut longtemps directeur du Figaro et ambassadeur médiatique de l'Académie Française. C'est un érudit français, journaliste, écrivain et philosophe. Il a laissé de nombreux et bons ouvrages où il fait abondamment référence à l'histoire. C'était un fier épicurien. Je possède nombre de ses livres que j'aime revoir à l'occasion. Rien n'est plus contagieux que la médiocrité. Rien n'épate plus personne. Ses livres sont légers mais jamais mauvais. Il fut un homme heureux. Il aimait le soleil plus que tout. On le lit pour sa mémoire des événements. Ils sont nombreux. Les bons lecteurs sont pour demain. Ceux d'aujourd'hui suivent trop la mode. L'intelligence artificielle relèguera aux oubliettes les auteurs d'hier et d'aujourd'hui. Demain, on ne saura plus reconnaître la différence. Aujourd'hui, presque tout est farouchement instable, volatile, provisoire et inhumain. L'avenir est devenu aléatoire, là où il devrait être une promesse. Tout chambranle, tout explose. La postérité et l'éternité n'existent plus. Nous sommes frappé par le signe de l'éphémère, du jetable. Je sais que certains d'entre vous diront que je ne vois que le verre à moitié vide. J'ai tendance à verser dans la mélancolie, je m'en excuse si cela vous blesse. J'en suis effrayé. J'y reviens. Mes phrases sont plus courtes et plus jolies. J'aime arranger les phrases. C'est la seule chose qui me reste. Ne croyez pas que je sois désespéré à écrire de la sorte. C'est mon exutoire pour éviter de chavirer. Je crève l'abcès avant qu'il m'enterre. Ormerson disait que le néant est surpeuplé et qu'il y a trop de choses qui ne servent à rien. Il n'y a plus de vérités, elle passe son temps à changer. L'idée du bien me fait rire. Il n'y a que l'amour qui résiste. Je n'écoute plus du tout la télévision le soir. La dernière intervention a laissé apparaître les deux chefs qui se présentent aux prochaines élections. Après quelques minutes, je suis exténué, j'ai dû refermer le téléviseur. C'est dommage qu'on en soit rendu là, après tant de labeur et de temps d'antenne. Ce n'est pas la faute de personne. C'est la faute de tous. Je reprends mes livres. J'irai tout de même voter pour le moins pire et le moins menteur.

12 avril |

On parle pour demander de l'aide, pour réclamer du pain, pour exprimer des sentiments d'affection ou de répulsion ou réciter des prières. Pourquoi j'écris ? C'est une vieille question. Aussi vieille que le monde, du moins de l'écriture. J'écris pour tromper mon chagrin et le noyer sous mes mots. J'écris parce que je rêve d'autre chose et pour me consoler de ma médiocrité. J'étais si habitué à vivre dans l'univers que parfois je ne voyais ni son étrangeté ni sa splendeur. Les mots surgissent comme une bouée pour ne pas que je meure. La question que je me pose sans cesse est : que faire ? À la fin, je dirai : qu'ai donc fait ? Que voulais-je faire plus tard lorsque j'étais môme ? Rien à part aventurier avec de bonnes chaussures, un stylo et du papier, une caméra. Plus tard, je voulais étreindre le monde à vélo. Embrasser une carrière ou un simple boulot me faisait horreur. Je n'étais pas destiné à passer ma vie dans un bureau ou sur une tablette. La finance, l'administration, les sciences, les travaux manuels. Rien de tout cela. Il y a des limites à l'ennui. Gagner ma vie me révulsait. On disait dans mon jeune temps devoir être un honnête homme. Je n'ai jamais vraiment compris ce que ça voulait dire. Ça me semblait étrange et ennuyant à moi, d'être un honnête homme. Je ressemblais à tout sauf à un honnête homme. J'aurais aimé faire de longues études si on me l'avait permis. Elles auraient surtout retardé mon entrée dans le monde réel. Avec de bonnes dispositions, j'aurais fait un bon élève, un bon étudiant. J'aurais appris à m'élever au-dessus de la mêlée. Me battre au lieu de fuir dans des rêves impossibles. Je voulais quitter à tout prix les carrefours populaires, l'ignorance, la morale des petits gens. J'ai souvent été malheureux, ne sachant quoi faire de ma vie, quel travail accomplir. Je ne comprenais rien de l'avenir qui se rapprochait à une vitesse folle et qui me rendait anxieux. J'ai souvent eu le désir d'être reconnu en voulant sortir de cette boîte qui me rendait fou. Je ne savais pas comment faire jusqu'au moment où je me suis mis à marcher. Cela dura un demi-siècle et puis encore. Ensuite, j'allais bien, j'allais mal. Plus tard, j'ai connu des auteurs qui détenaient le savoir. Ce fut un atout, une libération. Mes attachements furent modestes, quasi inexistants. Quelques rêves de grandeurs qui m'amenaient toujours loin de ma demeure. Je n'ai jamais cru à grand-chose. Depuis peu, ma conscience s'éveille. J'ai très tôt appris à me méfier de tout et de rien. Le monde est plein de bruit. C'est fatiguant à la longue de devoir toujours se battre. Ma vie a été un champ de bataille. Je n'en voulais pas de cette guerre contre tout, contre moi-même. Personne ne veut la guerre. La justice et la liberté sont les raisons pour se battre. J'y crois. C'est difficile de se libérer de ses chaines. L'humanité a un visage inquiet et frêle. Elle sait que sa fin approche. La démocratie finira par passer. Tout ce que j'écris est déjà en train de disparaître. C'est pour ça que je ne reviens pas en arrière à me corriger. C'est inutile de vouloir remonter le temps pour y changer quelque chose. Autant aller de l'avant. J'écris beaucoup pour protester et me sortir d'un trouble qui me rend nerveux. Je n'ai plus envie de me taire. La littérature, disait Pessoa, est la preuve que la vie ne suffit pas. Chateaubriand de dire, rompre avec les choses réelles n'est rien, mais les souvenirs. J'ai toujours eu cette faculté de penser à autre chose ou à rien. Comme il est étrange que la beauté soit toujours loin d'ici. Tout change avec rapidité et lenteur. Le monde est contradiction et contrarié comme celui qui vous parle. Des rafales d'images entremêlées de lassitude me chavirent la tête. Quelque chose a craqué. Je ne suis déjà plus le même. Pas encore ailleurs. Mais déjà plus ici. Je joue mon rôle. Vous me lisez. Je suis là pour encore un moment. Je me plains trop souvent de mes sottises. Beaucoup se plaignent des autres. Je n'aime pas les trop longs projets où je dois m'investir. Je laisse les fruits mûrir sans me presser. Il en a pas toujours été ainsi. Ils sont peut-être déjà trop mûrs. Je ne crois pas. J'écris encore. Ce que j'écris me fait souffrir et me libère. Ceux des autres aussi, parce qu'ils sont trop bons. Cioran disait qu'il avait connu toutes les formes de déchéance, y compris le succès. Réussir est un désastre, rien faire de sa vie, non plus.

11 avril |

Je les appelle mes essais littéraires. À travers les mots, le ressenti s'évince dans ce besoin viscéral de m'exprimer. J'ai passé des décennies près d'une foule à mes côtés. Soudainement, la salle s'est vidée de sa substance, ne laissant que mon journal pour me montrer que j'existe et pour me dire que je m'aime. J'écris pour le plaisir et par nécessité, mais pas nécessairement pour me livrer aux autres. C'est mon art. Même si mes textes sont profondément sombres parfois, il ne faut pas s’en inquiéter ; il s’agit d’une réflexion momentanée et non d’un sentiment profond. Je prends mes textes pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire, des réflexions instantanées et inoffensives. Je répugne à gâcher en futilités le temps dont je dispose. Il faut encore que je me démène malgré le fait que rien ne m'y oblige. Autrefois, mes pieds gesticulaient, que maintenant ce sont mes doigts qui s'agitent. Je ressens toujours l'urgence de vivre, comme si je passais la dernière journée de mon existence. Il fait beau, je suis allé à la Maison de la littérature. Autrefois, c'était l'Institut canadien. Ma marraine y a été directrice pendant 40 ans. Elle avait toujours de grosses piles de livres dans sa chambre. Elle et son grand lit parcouraient le monde en compagnie de ses bouquins. Elle raffolait des biographies et l'histoire des grandes dynasties. La bibliothèque située dans le Vieux Québec regorge de souvenirs. Ses murs vibrent des rumeurs du passé. De grandes tables blanches me donnent le goût de m'y installer pour lire. J'aime moins les bibliothèques contemporaines. Je préfère le classicisme dans ces lieux de pause et de recueillements. La nouvelle version de la bibliothèque Gabrielle Roy à St Roch ne m'émeut guère. Surdimensionnée et froide, je m'y croirais dans un hôpital aux dimensions vertigineuses. Les âmes de sont pas au rendez-vous malgré les nombreux auteurs qui l'assiègent. Les formes et les couleurs me plaisent, mais pas suffisamment pour m'inspirer à lire et méditer. L'ancienne version avait plus de charme et d'intimité selon mes goûts. Le progrès n'est pas toujours utile. La Maison de la littérature est à deux rues de mon centre d'entraînement. C'est un oasis de paix dans l'agitation de la ville qui s'activera sérieusement aux prochains jours. Je prends un livre de Jean-Marie Poupart. Écrivain prolifique et enseignant, il est décédé en 2004 un an avant son essai : J'écris tout le temps. Après quelques chapitres, je dépose cet ouvrage, n'y trouvant rien qui vaille. Pas suffisamment zen et transpirant d'hyperactivité, il vogue dans toutes les directions étalant d'insignifiants bavardages. J'ai l'impression d'entendre des potins d'un dimanche trop long et ennuyeux. C'est ce qui arrive à certains auteurs qui suivent la mode et les tendances actuelles dont leurs ouvrages se démodent rapidement. Ce n'est pas une obligation certes, mais à s'exposer devant la foule, il faut des mots justes qui s'apparentent à l'euphorie actuelle. Par chance, il y a des auteurs auxquels rien ne fane. C'est de ceux-là dont je parle et que je recherche. Ils sont intemporels dans la nature de leurs propos. Je prends le fil de l'actualité avec légèreté, plaidant la légitimité de filtrer les nouvelles avant de les extraire et m'en nourrir. L'actualité devient rapidement obsolète. Chaque lever du jour inonde des nouvelles de la veille. Les nouvelles deviennent défraichies avant même de les lire. Minimaliste de nature pour le matériel, je ne m'encombre pas inutilement de choses futiles. J'aimerais pouvoir agir de la sorte avec les idées qui parsèment mon esprit encombré. Je trouve par hasard un recueil de textes de Marc Aurèle. Ce qui étonne, c'est qu'après deux mille ans, ses mots portent encore. La philosophie est un sujet qui m'inspire en comparaison aux milliers de potins qui s'amoncellent chaque matin. La philosophie est intemporelle en me donnant l'impression de durer dans le temps. Bientôt tu auras tout oublié, bientôt tous t'auront oublié est une citation de Marc Aurèle qui confirme qu'il a eu tort, car je le lis encore malgré les années qui nous séparent. Personne ne m'empêchera de vivre selon la raison de ma propre nature ; rien ne m'arrivera qui soit en opposition avec la raison de la nature universelle. Qui a vu ce qui est dans le présent a tout vu. Mon objectif serait d'être davantage attentif à ce qu'un autre me dit tout en tentant de distinguer son âme. Pourquoi m'est-il si difficile d'y arriver ? Je ne dois pas laisser le passé transformé le présent en agissant de la sorte. Peu m'importe les raisons qui justifient mon attitude et malgré le fait que je comprenne les causes, je dois m'investir davantage pour trouver la paix et la quiétude qui, malgré tout, demeurent et persistent encore.

10 avril |

L'homme est né libre, et partout, il est dans les fers, disait Rousseau. L'ordre social est fondé sur les conventions et non sur la nature. Je dirais, pour ma part, que l'ordre social ne peut reposer que sur les émotions, car ça prend de tout pour faire un monde, même des idiots. Mes propos et confidences sont subjectifs la plupart du temps. La mélancolie ne se résume pas à la tristesse, au désespoir et à la perte. Comme les artistes et philosophes de la Renaissance l'ont reconnu depuis longtemps, elle peut engendrer une certaine forme de créativité, née d'une conscience profonde de la mutabilité de la vie et du cycle inévitable de la naissance et de la mort. Représenter les choses terribles et problématiques est déjà en soi chez l’artiste un instinct de puissance et de souveraineté, il ne les craint pas. Il n’y a pas d’art pessimiste. L’art dit oui. Les choses qu’ils montrent sont laides, mais s’ils les montrent, c’est qu’ils trouvent plaisir à cette laideur. Rien n’y fait. Vous vous abusez si vous affirmez le contraire. Une expression artistique, ou donnez-lui le nom que vous voulez, fait ressentir une émotion, une douleur, de la beauté ou tout ce que vous voulez. C'est le propre de l'art de faire vibrer, que ce soit son créateur ou les gens qui l'observent. Elle peut ou ne pas avoir de sens autre que d'appliquer toutes les couleurs que vous voulez bien y contempler. L'art se distingue par le cœur, pour d'autres ce sera par la raison. C'est indiscutable, si je peine à me justifier. Encore une fois, vous en faites ce que vous voulez. Une fois mes mots exprimés, cela ne me regarde plus, sauf si j'étais dans un cadre ou un rôle respectif. L'art et la littérature sont libres. Ils sont discutables si vous éprouvez du plaisir à critiquer ou disserter. Mon plaisir est d'écrire, cela me suffit. Je n'ai pas de pouvoir sur celui qui m'observe et me lit. Je fais mon travail du mieux que je peux en créant une atmosphère et une vérité qui m'appartiennent, peu m'importe si elles sont bonnes ou mauvaises. Écrire me permet de me transformer, d'étaler mes peines et de m'ouvrir à moi-même. Tout est une question de perception du lecteur qui diffère d'une personne à l'autre. La morale existe chez les hommes pour distinguer le bien et son contraire pour vivre ensemble. L'art n'est pas de cet ordre. Mes intentions sont d'exprimer des choses qui se trament depuis longtemps dans ma carcasse. À force de les absorber, mon corps se plie et s'abjecte. Je vois le monde à ma façon. Je possède une personnalité qui m'est propre que je ne peux changer. Le mieux que je puisse faire est d'apprendre à vivre et danser avec elle. Écrire, c'est me voir avancer et vaincre la douleur de mon silence. La couleur de mes propos m'importe, si elle m'apaise et me délie. Ressentir au lieu de réfléchir parfois est un moindre mal aux événements que la vie traverse. Me relisant, je perçois un hasardeux roman aux teintes obscures. Ma vie n'est pas un fleuve tranquille. Par chance que les nuits existent pour fermer les yeux et s'endormir.

9 avril |

Je réfléchis depuis quelques jours à propos des différents liens qui unissent les hommes, particulièrement les liens commerciaux dont on parle abondamment ces jours-ci. La paix dans le monde réside sur le libre-échange. De tout temps, les échanges commerciaux permettent à chacun d'offrir aux uns ce que les autres n'ont pas. Une société repliée sur elle-même serait mal en point. Ce que fait Trump est purement du bluff en jouant à la bourse dans le but de s'enrichir, lui et ses copains. Il aime humilier les gens et les mettre à genoux. C'est de l'extorsion et du chantage et dont il sait user abondamment. C'est de cette façon que lui et les membres de sa famille sont devenus riches. En plus d'arnaquer les banquiers, il a aussi appris à manipuler les politiciens, les médias, les chefs d'entreprise et une grande partie de la population américaine. Ce n'est pas rien. Tout ce cirque n'est que du théâtre pour gonfler ses poches et son nombril. Il joue bien, même si l'odeur de sa présence, même de très loin est le même qu'un marécage nauséabond. Il se moque de tous, des plus riches aux plus idiots. Mais un jour viendra que même ses proches et les citoyens de toute allégeance en auront assez de sa carcasse vile et ignoble. La planète a davantage besoin d'un chef rempli de compassion et de gratitude que d'une bête puante. Il est à l'image de certains gens d'affaires malhonnêtes et véreux qui trônent sur le monde actuel. S'il est devenu un leader, c'est parce que ceux qui l'appuient sont du même gabarit, poisseux ou sinon purement ignorants. Quant à nous, gens du pays, nous pouvons faire la promotion des produits canadiens, mais pas nous obliger à nous en procurer. Telle est l'essence même du libre-échange. La mondialisation n'est pas mauvaise en soi ; toutefois, des règles strictes sont de mise pour ne pas brûler les ressources à notre disposition. Tant qu'il y a de l'offre et des gens avec un pouvoir d'achat, les biens circuleront. Tant que l'économie repose sur le respect des individus et de l'environnement, il n'y a rien à craindre. La loi du marché dicte ses règles. Le business est une affaire d'art (or). Il y a de bons artistes et de très mauvais joueurs dont Trump fait chef d'équipe dans le domaine. Parlez-en en mal ou en bien, cet individu s'est fiche royalement, d'abord qu'on parle de lui, il est content. Même les méchants sont sur la sellette dans les plus mauvais films. Mais assez parler de cet animal indigne et cruel pour ce soir. La vie continuera bien sans lui lorsque le moment sera venu de l'évincer et le plus tôt sera le mieux. 

8 avril |

J'ai laissé de côté un peu les bouquins quelques instants. La lecture fut le centre de mes activités cet hiver. Le goût de laisser dissoudre toute cette belle matière aux beaux jours m'atteind. La bonne humeur et le relâchement est toujours associée au soleil. Les promenades au printemps sauront ravivées mon esprit et fortifié mon corps où, sous peu j'irai. Je n'ai foutrement rien à dire où raconter de nouveau. Chaque soir depuis l'automne dernier, fidèle je suis devant ma page blanche à m'offrir en pâturage à qui veut bien m'entendre. Mon blogue, qui me sert de journal intime, est ouvert au grand public. Le blogue n'est pas conçu pour recevoir les commentaires, je le voulais ainsi. Les foules, je crois, ne s'y entassent pas à sa porte. Pendant deux décennies, j'entretenais un site internet dans le cadre de mes fonctions en tourisme d'aventures. Le site était manifestement assez lu, car un compteur affichait les visites. J'ai conservé la même adresse en fermant boutique à la pandémie. Depuis, je ne possède plus les mêmes préoccupations que jadis qui étaient mon gagne-pain et ma passion. Le journal actuel n'a que l'unique souci de m'exprimer librement sur différents sujets et récits. À juste titre, c'est un élan créateur et désintéressé qui me porte à écrire de la sorte. Je n'ai aucune préoccupation à savoir qui et combien de gens me lisent. Aucune importance aussi de savoir s'ils aiment ou pas mes propos et commentaires. C'est à eux de se manifester si l'envie leur plait. Je rencontre aujourd'hui dans le bas de la ville, Jean Luc. On s'est déjà croisé il y a une quarantaine d'années sinon plus. Il se souvient de pleins de détails sur moi, mon boulot, mes affaires, mes implications, etc... Cela m'a jeté par terre. Jean Luc est un homme simple qui ressemble encore, malgré ses 63 ans à un adolescent. Révolté, maison peu moins et enflammé que jadis, il m'indique qu'il aimerait qu'on se salue si l'on se croise à nouveau. Je ressens en lui un personnage sensible et blessé. Son contact m'a touché. On fréquentait un ami commun du nom de Roland, espèce de vagabond vivant seul un modeste logis rue St Gabriel. Sans enfants et revendicateur prolifique, il a beaucoup voyagé et rencontrer de nombreux passants et visiteurs. Il offrait, à l'occasion, un gîte aux voyageurs et itinérants. Les gens, aujourd'hui, sont hyper connectés sur les réseaux sociaux. Ils sont inondés de messages et d'informations venant de tous côtés. Le résultat de tout ce vacarme virtuel est la banalisation de l'information et de tout ce qui est à l'extérieur de leurs bulles respectives. Dans ce mouvement de masse compacte et frêle, j'agis de la sorte en nourrissant mon journal virtuel. La chanson Price Tag de Jessie J évoque bien la tendance actuelle. De cette place que je revendique, je deviens le centre névralgique du monde. De cette place qui m'appartient, tout pivote autour de ma personne, pauvre imbécile que je suis et qui ne peut faire mieux. Je ne dois pas me cogner sur la tête plus qu'il ne faut, en considérant qu'il en est ainsi et que c'est tout. Cela ne me sert à rien de tenter d'y comprendre quelque chose. L'important, c'est d'être conscient de l'énergie qui s'émane de moi de façon constructive. Humaniste et créateur à ma façon, je le suis. Peu importe la destination, c'est la route qui mène. En ce sens, j'agis dans le but de la maintenir avec discernement et rigueur avec les moyens que j'ai à ma disposition. Dans l'autobus aujourd'hui, je m'adresse au vieil homme. Que faites-vous au beau jour de l'été ? qu'il me répond faire de longues marches en ville. C'est ainsi que les ombres sortent au soleil, ne sachant que faire d'autres que se suivre en file indienne sur les trottoirs encombrés, tous dans la même direction. J'ai horreur de ces promenades urbaines dans la foule. Aussitôt qu'elle s'attise, je prends le large loin d'ici. Le seul et unique endroit de la ville qui me ressemble et m'inspire est le parc des Champs-de-Bataille. Je m'y sens comme chez moi, dans mon jardin d'Eden et d'Épicure me prélassant sur son herbe et ses bancs publics dont je m'exerce à rêver. Aucun autre endroit de la ville ne m'offre autant de propositions pour m'apaiser et me retrouver. J'ai lu hier que les bloquistes voulaient que le parc devienne une juridiction provinciale. Lorsqu'une chose va bien, monsieur le député, laissez-la tranquille et surtout nos espaces verts qui sont mieux administrés par le pays que la province. En devenant propriété du Québec, je vois d'ici ce parc, qui fait notre gloire et notre fierté devenir un centre de foire pour ne pas dire un parc d'enfoirés. Sous la responsabilité de notre chère province, je vois déjà le cirque s'y établir pour monter ses kiosques ridicules et grotesques. Les promoteurs véreux s'y donneraient rendez-vous rapidement pour dilapider ce joyau naturel encerclé par un tas d'immondices. Laissez les choses qui sont belles et tranquilles, monsieur le promoteur. Le parc dérange les promoteurs et les percepteurs, car il n'apporte pas de taxes ni de profits engendrés par la vente de bric-à-brac insignifiant. Monsieur le député, plantez des arbres au lieu de gémir, plantez des fleurs au lieu de mentir et de nous prendre pour des valises. L'histoire du tramway est une autre belle comédie qui ne fait plus rire personne et dans laquelle, les politiciens se foutent éperdument de nos gueules. Il y a trop de gestionnaires dans nos villes, trop de gens qui vivent dans des espaces clos. Il y a trop de comédies, par les temps qui courent, où les acteurs ne sont que des promoteurs n'ayant rien à offrir mais tout à promettre. Ils font de leur mieux, en cela j'en doute. Avec de bons salaires et des primes, les chaises prennent rapidement preneurs. Messieurs les députés, laissez la beauté faire son œuvre et laissez-nous tranquille.

7 avril |

Rien qui vaille pour raconter des histoires palpitantes aujourd'hui. La routine me bousille l'esprit. Vivement le beau temps sous peu pour secouer les couvertures et ouvrir grand les fenêtres. L'actualité, comme je l'ai dit l'autre jour, me tue. Ça fait déjà plusieurs fois qu'elle m'a tué. Je crois que c'est la première fois de mon existence que je vois autant de turbulences se pointé de toutes les directions. Bien avant Trump, je ressentais déjà les secousses qui allaient un jour nous atteindre. Je crois que l'humanité prend un important virage depuis peu. Un choc générationnel et culturel est en train de se produire à grande vitesse. La vie des hommes dans les villes va très vite, trop vite. Les hommes des villes sont malades et le problème, c'est qu'ils ne le savent pas. Tant mieux, tant pis pour eux. Les hommes ont un sens inouï d'adaptation et de courage pour vivre dans des conditions aussi difficiles. Ces temps-ci, je suis agité d'un malaise envers un ministère contre lequel j'ai porté plainte il y a plusieurs mois et dont l'histoire remonte il y a plus d'un an. C'est difficile de faire plier le gouvernement dans un litige et ce, malgré le fait qu'ils reconnaissent leurs erreurs. Je demande une compensation financière pour des préjudices moraux que j'ai subis. Ils ont voulu m'offrir une somme ridicule que j'ai refusée. Il est toujours mieux d'avoir un avocat de notre bord que le contraire. Je vis l'expérience et je m'en sors assez bien, malgré les turbulences. L'important dans ce litige, c'est que j'ai agi au meilleur de moi-même au lieu de m'effondrer ou de m'abstenir. Il est vrai que les preuves sont accablantes dans ce dossier sensible. J'ai confiance d'obtenir gain de cause dans une éventuelle médiation ou entente réciproque. Ce délicat sujet m'a affaibli aujourd'hui au point que j'en suis profondément irrité. Je n'aime pas les problèmes et les querelles, mes émotions ne le supportant pas. Il est vrai que les émotions ont trouvé refuge en moi si souvent, si longtemps. La gestion des émotions est toute une affaire en ce qui me concerne. J'y réussis mieux qu'autrefois. Par chance, car ma capacité de les absorber se rétrécit, ou du moins c'est ce que je crois. J'ai trouvé des outils à ma disposition avec le temps. Je ne recherche plus comme autrefois à me mettre les pieds dans les plats ou bien à risquer l'aventure qui n'est pas à ma mesure. Je deviens plus prudent en vieillissant, quoique le sujet soit plutôt relatif.

Une chose que j'ai apprise, mais pas complètement, c'est de rouler ma langue plusieurs fois avant de parler. Effectivement, lorsque l'occasion se présente je parle beaucoup. Beaucoup trop ? Faudrait demander à mes interlocuteurs. Certains diront que oui, d'autres que non. Je ne parle pas pour rien dire ou à peine. Je parle pour le plaisir de parler. Je parle pour briser l'ennui ou mettre de l'ambiance. Que sais-je ? Je parle parce que j'ai des choses à dire. Parfois, je parle pour m'entendre ou pour me plaire. Des fois trop, des fois pas assez. Je parle aussi dans le vent, à travers mon chapeau ou pour rigoler. Parfois je parle tout haut, des fois tout bas. Je parle pour qu'on m'entende ou pour attirer l'attention. Je parle pour me défendre ou pour me détendre. Je parle à haute voix, de vive voix ou tout bas. Je parle trop peu ou en vain. Parfois je parle en marchant, en rêvant ou sous la douche. La parole m'est donnée, alors j'en fais bon usage, ou du moins, je l'espère. Ma voix se fait l'écho d'un esprit de plus en plus clair. Il y a longtemps que Narcisse a quitté mon corps pour la raison que je ne passe plus de temps à contempler son image. L'introspection se développe davantage qu'avant avec plus de rigueur et de sagesse. J'éprouve de la difficulté à entendre celui qui jadis s'exprimait, tellement ce temps me paraît loin et incertain. Le passé, lorsque j'y songe, est comme un rêve où je ne m'y reconnais plus. Ce journal me sert de repère et de refuge ; sans lui, je serais égaré. Ma vie a changé depuis qu'une personne charmante à l'esprit vif et sincère a pris le même sentier que moi, il y a cela plus d'un an déjà. Nous sommes identiques à bien des égards. Nos personnalités et nos caractères se rejoignent et se complètent. J'ai déjà ressenti de la solitude en présence d'un humain. Avec cette délicieuse compagne et amie, rien de tout cela. Seule ma pensée envers elle me rempli de joie et de bonheur. Mon être s'est allégé et assigné dans un ancrage qui est bien réel. C'est ce qui se passe lorsque je m'arrête pour écrire. Il y a toujours la pluie et le beau temps, les contraires, les opposés qui s'attirent et se détestent. Rien de tout cela ou à peine. Mon journal quotidien me permet de reconnaître la température interne de mon psyché, atteignant ainsi les mots nécessaires à conjuguer l'essentiel du surhumain. Je croyais n'avoir rien à dire ce soir. Un beau parleur, paraît-il, ne s'arrête jamais.

6 avril |

Benoît est un homme étrange, comme il m'a peu permis de rencontrer. Au gym du centre-ville où je m'entraîne plusieurs fois par semaine, je rencontre des gens de tous horizons et de cultures différentes. Benoît n'est pas très jeune, mais son physique est robuste et fort. Ses gestes démontrent chez lui un caractère déterminé et trouble à la fois. Sa mémoire est phénoménale. Une distinction qu'il affiche est d'émettre d'interminables citations. Tout sujet est pour lui l'occasion de faire d'étonnants jeux de mots. Ce qui me semble amusant au premier abord, m'apparaît cinglant et artificiel par la suite. J'ai la nette impression d'avoir sous les yeux un type sur une constante défensive. Il me raconte avoir été orphelin de Duplessis ayant séjourné dans plusieurs familles d'accueil. Son dernier boulot fut déménageur. Ce type se cache derrière une façade qui me déplaît à ce point que j'ai décidé de l'éviter. Dans toutes ses affirmations s'exprime un brin de morale dont je n'ai rien à foutre. Je parais être le seul à l'entraînement qui sollicite des discussions diverses. Tantôt un brésilien, tantôt un algérien, un moscovite, un vietnamien. Aujourd'hui, je fais la connaissance de Graham, un américain d'âge moyen de la Virginie. Il est contrebassiste à l'orchestre symphonique. Marié et père d'une fille, il habite à Québec depuis cinq ans. Plutôt réservé comme la plupart de ses concitoyens, je tente la conversation. Trump n'est pas son sujet préféré et avec raison. Étant artiste, seule sa vue pourrait compromettre sa créativité. On discute un brin avec courtoisie et gentillesse. Voilà un type bien, me disais-je, et surtout en comparaison avec Benoît le curieux perroquet. Peu de gens conversent, disais-je. Parfois, les gens sont dérangés ou étonnés de mes interventions. Je me demande si c'est mon âge qui les indifférent ou bien si c'est l'air du temps. Tous sont largement occupés par leurs téléphones, jugeant plus importants de se refléter dans leurs écrans que de porter attention à son voisin. J'ai 67 ans. Je n'ai jamais vu autant d'indifférence que depuis les dernières années et ce, partout où que j'aille dans cette ville qui frise dorénavant 900 000 habitants. Est-ce possible que la ville soit trop grande pour accueillir davantage d'humanité et de dialogue ? Je crois que oui, qu'il n'en déplaise. Québec est tissé de clans étroits et hermétiques qui ne sont nullement aisés de s'y introduire. J'ai le temps de disparaître à plusieurs reprises avant de m'y faire quelques amis attentionnés et sincères. Québec est une ville conservatrice malgré ses apparences festives. Je suis un être social pour les bons dialogues et curieux de nature.  Peut-être parce que je n'ai rien à perdre et tout à gagner en m'adressant aux autres de la sorte. Au gym, j'ai l'impression d'être un être à part devant mon ouverture aux autres. Quel monde étrange dans lequel je vis. Nous devrions tous être frères dans cette ville qui nous tient de refuge, mais je ne ressens que dérangement et malaises auprès des gens que j'intercepte. La vie communautaire n'existe qu'à peu de choses par ici. Peu de lieux existent pour créer des liens, à part sur les lieux de travail, et encore. Je ne tiens pas à généraliser mon opinion que je partage, sachant très bien que l'humanité subsiste encore dans les parages. Je vois beaucoup de gens tout autour qui se contractent et s'indiffèrent. Mais si quelques intérêts manifestes se présentent, alors les barrières s'effondrent rapidement. Ne voyons nous pas où se trouvent les véritables richesses ? Voilà les valeurs auxquelles j'assiste. Je sais que bien des gens s'autosuffisent de leurs bulles respectives. J'ai déjà usé d'internet pour lancer quelques perches en vain, que maintenant je n'ai ni la conviction ni la volonté ni l'intérêt d'en abuser davantage, laissant la jeunesse et les idiots s'y empêtrer. Mon temps est devenu trop précieux pour me perdre dans cette mer d'indifférence et de répulsion. Je puis affirmer, en toute honnêteté, que j'aurai tenté et que j'essaie encore, avec plus de modération qu'autrefois, de me fondre à autrui par de multiples façons. La culture ambiante de la cité qui grossit à vue d'oeil ne convient peu aux proximités enrichissantes et désintéressées, et cela, j'en suis certain en ce qui me concerne. Tant d'habiletés sociales se perdent que parfois cela m'étrangle de stupeur. Par chance, mon petit motorisé sortira bientôt de son hibernation pour aller voir plus loin si j'y habite encore. Écrire pour moi est devenu ma méditation quotidienne dans laquelle mon esprit se déverse joyeusement. Comme à chaque soir, un rituel se met en place pour observer où mes pensées s'en vont et s'en viennent. Si je veux comprendre les hommes de mon entourage, c'est en m'adressant à eux que je conviendrai de les connaître et de les aimer. Il ne faut pas compliquer les choses plus qu'elles ne le sont. Lorsque j'aborde un étranger vêtu de son téléphone, je lui demande comment ferait-on si l'on ne les avait pas. Embarrassé, ne sachant que répondre, j'acquiesce en disant : fort probable, autre chose. Philosopher dans la rue n'est pas une tâche facile, même poser une simple question devient insensé, voire dérangeant. Parfois, on me répond d'aller sur Google ou sur internet pour obtenir satisfaction. Que feront tous ces gens lorsque l'intelligence artificielle agira et pensera à leurs places, déjà que leurs esprits sont embourbés et mal en point. Quel bonheur dans les prochaines semaines de planifier ces joyeuses escapades à me réinventer en m'échappant de ce cirque le temps qu'il me à renaître. La beauté a puissance de résurrection. Il suffit de voir et d'entendre, dit Christian Bobin. C'est à la mi-mai que les oiseaux sont nombreux dans les bois et que les citadins se délient la langue à dire des bêtises. Je serai au rendez-vous dans les bois.


4 avril |

Jean-Jacques Rousseau a écrit ces quelques lignes ainsi que bien d'autres dans les rêveries du promeneur solitaire. Mais moi, détaché d'eux et de tout, que suis-je moi-même ? Les voilà donc étrangers, inconnus, nuls enfin pour moi puisqu'ils l'ont voulu. Il se passe bien peu de jours que de nouvelles réflexions ne me confirment combien j'étais dans l'erreur de compter sur le retour du public. Rousseau, vers la fin de sa vie en solitaire, faisait des promenades s'abreuvant d'intenses réflexions sur lui-même et autrui dont il n'avait plus guère de rapprochement. Rousseau était un homme blessé et trahi pour ses propos qui dérangeaient l'autorité d'une époque sous le joug de l'église. Orphelin en bas âge, sa vie est marquée par l'errance. La philosophie de Rousseau est bâtie autour de l'idée que l'homme est naturellement bon et que la société le corrompt. Sa nature est faite d'intenses introspections à l'égard de lui-même et sur le monde, ce que diront certains qu'il souffrait de paranoïa. Durant ces promenades, il observait dans une grande clarté la nature et les paysages qu'il traversait joyeusement. Une profonde nostalgie émane de ces écrits. Il ressentait des émotions vives causées de son isolement en partie volontaire et qui attribuait aux autres sa défection. Ces confessions à cette époque étaient bouleversantes car peu habituelles sur la nature des âmes solitaires. Rousseau s'inquiète d'une société fondée sur la course au profit et au chiffre. Il n'aurait pas été bon ami avec Trump le persécuteur et indifférent au monde qui l'entoure. Bien que l'analyse de Rousseau sur la montée des inégalités ait inspiré des anarchistes et que certains déclaraient que les états, quelles que soient leurs formes, étaient peu capables d'apporter un bénéfice solide à l'humanité. Il était un grand visionnaire, un philosophe et un humaniste qui apporta beaucoup par sa pensée et ses écrits. Le contrat social fut sa plus grande œuvre. La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse, la vieillesse est le temps de la pratiquer. Je vois des similitudes entre Rousseau et moi-même par la douleur associée au sentiment de rejet et l'abandon subi de part et d'autre. Certains événements tragiques vécus antérieurement déforment la perception de la réalité, conjuguant ainsi de sérieux problèmes d'adaptation. Je comprends cette attitude malaisante à déformer ou accentuer certaines réalités que l'on nomme distorsion. Ce comportement encoure le risque de s'isoler davantage, croyant à tort être rejeté ou persécuté. Une sévère empreinte subsiste sans cesse dans l'esprit sans qu'il soit possible d'y remédier pleinement. La douleur est associée à un danger qui n'existe plus et qui continue de meurtrir. Rousseau appartenait à ce groupe de gens qui, en bas âge, ont subi de graves préjudices comme bien d'autres d'ailleurs. Une hypersensibilité et une hyper vigilance s'installent en permanence et qui, soit rendent fou, sinon fort intelligent ou un peu des deux. Jeté dès mon enfance dans le tourbillon tourmenté du monde, j'appris de bonne heure par l'expérience que je n'étais pas fait pour y vivre. Je décèle certaines pensées que Rousseau possédaient en regard du monde qui s'exprimait de façon remarquable dans ses promenades. Très tôt et sur de longues périodes, je me suis promené ardemment. Étant incapable de fixer mes pensées clairement, mon objectif d'alors était de les dissiper aux grands vents pour oublier ma détresse et ma peine. Tellement égaré, je croyais à tort que je faisais de l'exercice alors que je tentais d'oublier que j'existe. Mais de toutes ces courses, j'ai connu l'extase des grand espaces. Depuis quelques années, je suis séduis par ceux qui ont le courage de bien écrire et de bien se décrire dans une délicatesse d'esprit. J'aurais bien voulu instruire les autres pour qu'ils m'apportent leurs amours. Je me suis instruit avec les moyens d'alors qui étaient à ma disposition. Un jour cela n'a plus suffi laissant émerger au grand jour des carences d'adaptation que je tentais de dissimuler. Surgit alors un monde cruel et étrange que j'anticipais et dont je ne m'étais pas préparé ou que je fuyais. Comment pouvais-je faire pour obtenir l'amour des autres si je n'étais pas capable de reconnaître le mien ? Ma volonté seule ne pouvait me prémunir des dispositions nécessaires à mon évolution. Malgré tout, en mimant certains héros et personnages, j'ai réussi à survivre. Ma jeunesse et mon courage m'ont permis de tenir le coup jusqu'au jour où je m'affaissai dans un profond et étrange malaise. Ce que j'aurais aimé rencontrer au moment opportun de ma jeunesse des mentors ou des tuteurs, de grands esprits ou des amis sincères qui auraient su m'élever sur le socle qui m'était destiné et que je pleure encore. De toute évidence, ma chute m'a permis de me relever encore plus fort malgré les apparences. Les rêveries du promeneur solitaire prennent du temps à assimiler et à comprendre. Il ne sert à rien de me hâter devant un tel ouvrage. Assurément, Rousseau sera mon compagnon lors de mes prochaines escapades en solitaire.

3 avril |

Durant deux ans, j'ai possédé un sérieux intérêt pour les vieilles institutions médicales, carcérales, scolaires, industrielles et psychiatriques aux États-Unis. J'ai été à la rencontre d'une multitude de lieux abandonnés dans plusieurs états américains en motorisé. J'ai fait de nombreuses recherches qui m'ont permis de mettre à jour l'histoire de ces lieux lugubres et déjantés. Dans la liste des endroits visités, j'ai ressenti de saisissantes vibrations émanant des lieux. Certains n'étaient que des terrains vagues et d'autres abritaient des ruines de différentes conditions. John Kœnig décrit l’étrange atmosphère délaissée d’un endroit qui grouillait habituellement de gens, maintenant abandonné et silencieux. La fascination de la société pour la détérioration de lieux qui abritaient des communautés entières ne date pas d’hier. Les fins connaisseurs de l’architecture anglaise du début du 19ᵉ siècle reconnaîtront que les vestiges du romantisme, visibles grâce au style gothique, sont une façon appréciée de faire un saut dans le passé. Urbex est la contraction des deux mots : urbain et exploration pour décrire l'intérêt de ces lieux que j'appellerais hantés. De façon ordonnée et méthodique, j'ai découvert des sites incroyablement bien conservés, comme l'ont retrouvent abondamment chez les anglo-saxons. Les sites les plus émouvants sont incontestablement les state hospital qui étaient d'immenses institutions psychiatriques dont relevait la responsabilité de l'état. L'architecture des bâtiments est incroyable et leurs dimensions, impressionnantes. L'équipement requis dont j'avais besoin pour explorer l'intérieur des lieux, malgré les interdictions et les clôtures, reposait sur un sac à dos, de l'eau, un peu de nourriture, une lampe de poche, des batteries de rechange, des bottes de randonnée, des vêtements sombres et résistants afin d'éviter les bris, une caméra, un couteau, du gaz répulsif, un téléphone, une casquette, une corde tenace, de l'audace et du courage. Dans tous les cas de mes nombreuses incursions dans un passé révolu et troublant, mon taux d'excitation et d'adrénaline était à son comble. Parfois je vis de jeunes gens qui, comme moi, déambulaient sur les lieux, à la recherche de vestiges témoignant d'un passé s'étalant sur une centaine d'années. Un jour, je partis à la découverte de l'histoire d'un ermite dans le Maine où je fis d'étonnantes découvertes qui ne se sont pas faites dans la dentelle. En moi, j'ai toujours eu cette curiosité et le sens de l'aventure pour l'insolite et les chemins de traverse. Les états industriels du Massachusetts, de New York, du New Jersey et de la Pennsylvanie regroupent à eux seuls la grande majorité de ces lieux abandonnés qui possèdent à mes yeux autant d'intérêts que les sites archéologiques du vieux continent. D'autant plus qu'ils demeurent authentiques, n'ayant pas  été déformés par les hommes actuels. À l'intérieur, de nombreux artéfacts se raréfient au fil du temps par les pilleurs et les curieux. Entrer à  l'intérieur des longs tunnels obscurs des institutions psychiatriques ou d'orphelinats est une expérience qui m'est impossible d'oublier. Un jour viendra que tous ces lieux seront recyclés à d'autres usages. Étonnant, la plupart des lieux, étaient dû de leurs emplacements sur des sites où ils étaient érigés sur d'immenses terrains en retrait des grandes villes et dans un cadre naturel et enchanteur.

À Détroit, j'ai erré dans des immenses quartiers où tous les bâtiments étaient vides et éventrés. L'architecture démontrait un passé glorieux et riche d'une époque où l'économie fleurissait. Dans cette grande métropole du Michigan, subsiste les vestiges fascinants des premiers constructeurs automobiles en Amérique que j'ai solennellement orienté mon parcours. J'ai arpenté la Virginie occidentale qui est très étonnante par son passé relié aux charbonnages et aux villes qui s'y sont associées. Dans cet état, il n'y a pas un seul endroit qui ne rappelle pas un demi-siècle en arrière, et pas seulement dans les bâtiments. Se promener dans l'arrière-pays de la Virginie occidentale est un voyage dans le temps et un pur dépaysement où sombrent de magnifiques montagnes partout où le regard se déploie. En entrant dans les sites abandonnés comme je l'ai fait, le risque était omniprésent d'entrer en contact avec les forces de l'ordre qui ne rigolent pas de ce côté et d'étranges squatters qui peuvent, dans certains cas, se montrer largement indisposés par notre présence. À part quelques éraflures, j'ai eu la chance de n'avoir eu aucun souci. Parfois, me promenant dans un village reculé où abritait une ancienne institution, je tentais de récolter certains témoignages de ces lieux disparus. Je connaissais les façons de les reconnaître et de m'approcher d'eux. Une fois la confiance établie, je devenais le témoin privilégié de toute une époque et d'une grande communauté. J'en retirais un bonheur immense de ces contacts particuliers issus d'un monde qui n'existe seulement que dans la mémoire des vieux. Dans certains villages ou hameaux, voulant jouer au détective, parfois la récolte fut fructueuse, d'autre fois épeurante. Je pense ici à un couple d'une demeure où j'ai frappé pour obtenir de l'information sur l'ermite qui a constitué le sujet d'un livre et qui habitait le voisinage. Fusil au bras et fustigeant de colère, il me signale de déguerpir rapidement, la main sur la gâchette. Il faut dire que nos voisins du sud sont joliment armés et qu'ils n'entendent pas rire à propos de la propriété privée et de certaines règles. J'aime voyager aux États-Unis. Tout y est plus calme et plus vert, sauf dans certains quartiers des grandes villes où il est mieux de s'abstenir. Nos arbres ici, comparés aux leurs, m'apparaissaient de maigres arbrisseaux en décomposition. Aujourd'hui, je serais moins tenté de toutes ces explorations particulières à la Indiana Jones. Je suis largement rassasié, mais j'esquiverai à la prochaine occasion, si jamais elle se présente. À cet effet, j'ai comme projet au printemps prochain de partir à la découverte d'une région des Catskills de l'état de New York : Borsht Belt. L'origine du nom Catskills est controversée. On a longtemps avancé qu'il dériverait de Kaaterskill, du néerlandais : ruisseau du chat sauvage, nom donné à l'un des ruisseaux les plus connus des environs, probablement en raison de la présence de lynx roux. La Borscht Belt, littéralement la ceinture du borscht, est une région touristique dans les montagnes Catskills, dans les comtés de Sullivan et d'Ulster de l'État de New York, fréquentée dès les années 1920, mais surtout après-guerre jusqu'aux années 1970 par des juifs ashkénazes venant principalement de la ville de New York. La région est située entre les Adirondacks et la ville de New York située à 150 kilomètres plus à l'est. Le nom Borsht Belt dérive du nom d'un potage de betteraves populaire chez les personnes originaires de l'est de l'Europe. Certains faisaient également référence à la région comme aux Alpes juives. On y trouvait des hôtels, des centres de vacances, des campings et de nombreuses colonies de vacances d'été. Cette époque est maintenant révolue, ne laissant que quelques ruines ici et là, avec la volonté actuelle aujourd'hui de faire revivre ce passé riche et glorieux. Je n'irai pas plus loin dans la description afin de décrire plus largement les lieux et les atmosphères le moment venu.


2 avril |

Certains livres ne sont lus de ma part que de travers, en m'offrant une vue d'ensemble. Rien ne m'oblige à devoir parcourir toutes les lignes, tous les chapitres pour en saisir l'essentiel. Il y a trois formes d'amitié : celles basées sur la vertu et le bien que l'on se souhaite mutuellement, d'autres qui se nourrissent de l'agréable et, enfin, il y a celles qui se fondent sur l'utile. Ces catégories, évidemment, ne sont pas étanches. Pour ma part, j'aime jouir de la présence de quelqu'un pour ses traits d'esprit. Pendant de nombreuses années, mes relations étaient basées sur la marche en forêt dans l'exercice de mes fonctions. Une fois terminée, les liens se desserrent et, pour ainsi dire, n'existent plus. Les liens n'étaient fondés que sur le plaisir qu'ils s'étaient fixé par l'activité. Ces affirmations, néanmoins, sont nuancées, car rien n'est tout à fait noir ou blanc. L'amitié repose sur la joie simple que l'autre existe. Je ne m'illusionne pas, ce n'est pas le voyage lui-même qui me transformera. Vivre plus, c'est ajouté de la vie à la vie. Pour moi, c'est fréquenter les grands esprits lorsque l'occasion se présente tout en profitant de leurs sagesses et, bien avant leurs expériences. Est-ce que la sagesse vient de l'expérience ? Cela est une autre histoire qui propose des réponses au cas par cas. Sénèque disait de prendre le temps, le sien, pas celui du divertissement stérile et du travail à faire des tâches absurdes et répétitives. Un obéissant se soumet sans qu'il y ait une force brute qui l'y oblige. Un obéissant peut croire qu'il est en contrôle alors qu'il ne l'est pas. Cessez de servir ou demandez-vous pourquoi vous le faites. J'ai souvent confondu la liberté avec l'appât de servitude. Je suis loin d'être le seul. Cela fait partie d'un conditionnement unilatéral. Peu de choses ont changé depuis les jeux romains, l'arène a été remplacé aujourd'hui par bien plus de choses pour appâter les innocents. Internet fait des dominés les complices de leur domination. L'ignorance contribue à se maintenir dans la servitude. L'étau se resserre de plus en plus chez les gens libres, s'il en reste. Le système s'est doté d'une pyramide de domination en offrant quelques miettes, à titre de récompense pour la possibilité qu'offre à ceux d'en dominer quelques-uns. Montaigne disait qu'il vaut mieux avoir une tête bien faite que bien pleine. La société actuelle souffre d'infobésité et fait de l'extrospection un idéal. Tout déborde sauf pour l'essentiel. Le jugement ne s'améliore guère malgré tout le savoir à disposition. Comme les plantes trop arrosées ne savent plus croître, la profusion de savoir n'augmente pas le jugement. J'avoue que mon esprit est inutilement encombré par les temps qui courent. Vivement la chaleur pour me décharger de pensées encombrantes accumulées durant l'hiver. Toutefois, je ne renie pas les nombreux livres qui m'ont accompagné et qui ont formé ma faculté de penser. Quand tout me quitte et tombe dans l'oubli, ils demeurent de fidèles compagnons.

1er avril |

L'idée pour l'homme de tout vouloir expliquer est une obsession qui risque de l'abaisser. C'est ce qui arrive souvent dans les psychothérapies, où l'on en sort souvent plus errant qu'avant y entrer. Comment se fait-il que si le progrès est si avancé aujourd'hui et que les experts et les analystes peuvent répondre à autant de questions, le monde ne soit pas plus évolué ? La beauté est un mystère, c'est bien ainsi car sans le mystère, il n'y aurait plus de questions à se poser. La beauté est une énigme. Elle est belle, car elle n'a pas de questions ni de réponses à offrir. Sans mystère, le monde serait ennuyant, déjà qu'il l'est déjà à voir les gens recroquevillé sans cesse sur leurs portables. Un téléphone est un petit moi qui demande à être nourri sans cesse. Il n'est jamais satisfait, les gens non plus. La beauté est bien au-delà du pourquoi et du comment. Aussitôt que l'on cherche à comprendre, le charme est rompu. Aussi, il en est de l'amour. Le bonheur dépend de la capacité à accepter les souvenirs traumatiques tout en les réécrivant. Je ne suis pas seul lorsque je lis ou j'écris. Je me soigne ainsi. La philosophie est fondée sur le dialogue qui n'est possible que si chacun mesure ses arguments, écoute ceux de l'autre et respecte les règles du langage. Dans la société, la vertu la plus prisée est le conformisme, disait Ralph Waldo Emerson. C'est encore vrai près de deux siècles plus tard. Ma vie existe pour elle-même et non pour la parade. Je décide ce soir d'abroger mon monologue, car je me trouve profondément ennuyant. Cela arrive à trop parler à moi-même. La rumeur publique engendre le bavardage. Dans ce type de discours, c'est le fait de parler qui compte et non ce dont on parle. Cette communication se nourrit d'elle-même et n'approfondit rien. C'est le prêt-à-penser qui sévit comme sur toutes les tribunes. Je déteste entendent dire les gens on et qui m'englobe. On est une généralité qui fait de celui qu'on parle quelqu'un qui n'a pas d'existence propre. On est la rumeur publique lorsque tout le monde en parle et dont je m'exclus volontiers. Je ne suis pas fait pour entendre les banalités quotidiennes. L'effet tout le monde en parle me retire la responsabilité de penser par moi-même. Et s'il faut être insignifiant pour atteindre la cote d'écoute, alors soyons-le. Ce média veut esquiver à tout prix l'ennui et la contrariété, ce qui en fait un pur divertissement, quoique je suis pas contre. Il est curieux qu'avec moi ça ne marche plus. La vie ne saurait se réduire au repos et au divertissement. Je l'ai bien compris en mettant à profit ma capacité de réfléchir et en m'éloignant de l'agitation quotidienne.

31 mars |

Peu loquace, faisant peu de bruit devant les absences répétées, ma pensée m'a façonnée de manière à me taire au lieu de gémir, de fuir au lieu de mentir. Le pauvre arbrisseau que je suis devenu s'est assécher, il vaut mieux le laisser partir dans le courant de la rivière au lieu qu'il résiste et se brise aux vents contraires. Les mots suintent pour laisser des traces avant que je ne meure. Sous la pluie ce soir, un amas de tristesse s'accumule. La nostalgie a fait de moi un animal inachevé et ravagé par tant de deuils. Une musique lointaine accompagne mon chant qui a perdu de sa vigueur. La douceur ne m'appartient qu'en rêve. Violence, je me fais. Mon corps n'a plus de sang pour rythmer sa peine. Chaque jour se fait de plus en plus lourd. Déjà cinq ans que j'écris, avant j'étais occupé à vivre de misère et de grandeur. Je n'aurais pas assez d'une vie pour écrire cette histoire qui fut mienne. Des tragédies m'ont traversé, comme la vie le fait à son insu. Un jour, je décidai de pratiquer le yoga en groupe à Cuba. Nous étions cinq ou six à peine avec Xavier, notre professeur prêt à instruire nos corps et apaiser notre mental. Une nuit sous de grosses pluies, j'entends le hurlement terrifiant d'une femme dans l'hôtel où je me trouve. C'est un cri de mort. Je vais au balcon et je vois un homme sauter du quatrième étage sous la musique qui joue encore des airs de fête. Je suis le premier à descendre de l'immeuble pour voir la mort dans une mare de sang. Je suis sous le choc, d'autres aussi. Pour une raison que j'ignore, le type au visage blême croisé la veille dans l'avion se tue en se jetant dans le vide. Je n'ai pas su si c'était un suicide ou un accident causé par l'alcool ou la drogue. La femme qui l'accompagnait a repris le même siège dans l'avion au retour sur Montréal ; celui de son compagnon est resté vide. Le lendemain du drame, nous quittions vers un autre immeuble pour ne plus sentir la mort de cet homme parti trop tôt ou trop tard. Effondré et triste devant l'événement tragique, Xavier nous a conviés à une série d'exercices visant à purger la douleur qui nous habitait. Ne pas rester seul dans cette souffrance m'a permis de me sevrer d'un choc terrible dans lequel je revoyais sans cesse le type se projeter au-dessus de la balustrade. Le lendemain, le ciel est redevenu clair. La fête a continué comme si de rien n'était, sauf pour ceux qui, comme moi, savaient que le rythme et la fête n'étaient plus les mêmes. Sa chute a pu débuter bien avant qu'il ne meure. La mort s'imprègne bien avant de quitter le corps. Il y a les morts vivants, les morts par en dedans, les morts qui ne le savent et d'autres qui s'y reconnaissent. Il y a la mort dans l'âme, la mort dans le cœur, la mort devant la perte, la mort dans le deuil. On meurt d'ennui, de jalousie, de tristesse. On meurt à chaque nuit devant des rêves inutiles. On meurt à trop aimer et souffrir, à trop mentir et se trahir. On meurt la gorge tranchée, l'estomac trop rempli ou bien vide. On meurt de peur ou de crainte d'avoir peur de mourir. La maladie fait mourir, l'absence aussi. Je vais prendre une douche froide pour me ressaisir au cas où je rêve de mourir. La mort est un thème qui agonise ceux qui sont vivants. Des fois je suis mort avant de mourir. C'est étrange de parler de la mort au lieu de la vie. Étant un grand explorateur, ça me fera une nouvelle destination à conquérir, une nouvelle vie à espérer, une terre prochaine à arpenter. Partir, c'est mourir ; rester, c'est mourir. Quoi que l'on fasse, la mort est toujours au rendez-vous.

La beauté me souffle que tout n'est pas perdu. La beauté parfois me redonne mon pouvoir, ma liberté. La beauté m'aide à me découvrir et à m'inventer. En affirmant le beau, il n'y a plus de jugement. C'est bien est moral, c'est bon est sensuel, c'est vrai est rationnel. Comme ce fut beau la pléiade de paysages traversés, seul ou encore mieux en les partageant avec les hommes. On ne peut discuter avec ce qui est beau, c'est comme ça. Cette analyse est inspirée d'Emmanuel Kant. Où cesse le conflit, c'est le moment où j'éprouve le beau, disait-il. Devant le beau, mon seul jugement est celui d'aimer. Nous vivons le temps de l'obsolescence des critères. Le monde change si vite que les critères se périment à une vitesse accélérée. Mon émotion esthétique devant toute beauté me rappelle que je suis créateur. Ce fut pour cette raison que des gens m'ont suivi si longtemps sur les routes du monde. Je n'avais qu'à offrir que de la beauté, c'était suffisant et indiscutable. Sur des sujets reliés à la morale et la raison, il y a peu de monde pour nous accompagner et s'ils le font, c'est souvent par intérêt. La beauté lève le voile sur le doute, dont parle Charles Pépin dans : quand la beauté nous sauve. L'intuition m'arrache aux manières habituelles de penser, aux opinions toutes faites. Me désengager du souci de l'utile en me fiant à mon intuition. M'abstraire de l'urgence présente. Devant la beauté, je ne me soucie ni des opinions toutes faites ni de l'utilité des choses. En écrivant cela, je revois tous les paysages grandioses qui m'ont ouvert les yeux et l'esprit dans une capacité d'intuition accrue. Mon plaisir esthétique devant la beauté des femmes n'est pas sans intérêt et, en ce sens, vient troubler mon jugement. Devant toute beauté, il doit y avoir désintéressement pour qu'elle me libère. Je ne ressens pas chez autrui ce quelque chose qui pousse à partager. Je ne vois que des vies parallèles à chérir ce cher petit moi dans l'indifférence des autres. Pourtant, la beauté est le catalyseur ayant la force de réunir les hommes. Je parle ici de beauté pure et libre et non pas de beauté adhérente qui s'agitent dans la conformité. Par beauté adhérente, cela suppose que le sujet est relié à une fonction, une utilité. Ce n'est pas beau parce que c'est beau, mais parce qu'il n'y a pas de parce que. La beauté pure est inconditionnelle, c'est elle qui réunit les hommes. C'est beau est une exclamation qui fut bien réelle et nombreuse de ma part et qui a su réunir les hommes de tous horizons. C'est beau! C'est de cette affirmation que tant de gens ont voulu me suivre. Je n'y étais pour rien, à part de les mettre devant la beauté et en leur rappelant qu'elle existe. Ce fut le meilleur moyen que j'ai trouvé pour rassembler les hommes. Maintenant c'est trop tard, les hommes d'aujourd'hui ne font que regarder la beauté du monde à travers leurs smartphones. Ensuite, il y a les copies, les imitations, les produits de consommation. La beauté pure n'existe en grande partie, que dans la nature, et c'est elle qu'on doit protéger pour sauver le monde. La présence effective des autres contemplant le même horizon vient redoubler leur présence implicite. Le dénominateur commun qui a réuni tant de gens pendant plusieurs décennies reposait dans les efforts partagés à la rencontre de paysages somptueux d'une grande beauté. J'ai réussi où plusieurs ont échoué, c'est-à-dire à rallier les gens par la beauté du monde sans jugement et sans conditions autres que de marcher pour les atteindre. Les idées et les règles divisent là où la beauté inconditionnelle rassemble. C'est devant la beauté esthétique que le désir d'être ensemble se manifeste. L'idée de cimes n'est-elle pas le symbole d'une élévation de ma part ? L'image de sommets partagés entre les hommes fut celle de ma vie. En ce sens, j'ai touché le bonheur de près grâce à la beauté. Jamais je n'aurais été si près des hommes qu'en partageant avec eux les beautés naturelles. Du haut des sommets enneigés et des vallées sublimes, le rôle des hommes n'a plus d'importance. Seul le regard est important devant toute chose, devant toute beauté. Et tout ce qui est laideur et indifférence peut renaître à nouveau devant l'éternele beauté.

30 mars |

Hier, j'ai fait une longue promenade dans la neige avec une amie au cœur d'une immense réserve naturelle. Les pistes d'animaux fraîches dans la neige légère atteste que le printemps est prêt d'éclore. J'ai fait le plein d'énergie dans cette formidable lumière pour plusieurs jours. Tant qu'existera ce mouvement du devenir en moi, le conflit sera là, inévitable. Le conflit déforme mon esprit. Mon existence est une perpétuelle lutte pour m'assurer une sécurité, et ce, par habitude, même si elle n'est pas toujours nécessaire. Trop d'efforts en moi provoquent une distorsion. Pendant ce temps, la machine surchauffe, ce qui provoque du refoulement. Je l'apprends en ce moment même par l'observation, voulant sans cesse me projeter dans quelqu'un de bien ou ayant toujours mieux à faire. L'effort existe lorsqu'il a dualité. La dualité amorce une contradiction : je suis ceci, mais je devrais être cela ; je fais ceci, mais je pourrais faire cela. Être convaincu d'une chose m'empêche d'observer ce qui est. Pour changer, je dois observer ce qui est et non ce qui devrait être. La pensée est une réponse à la mémoire, son écho, qui est le fruit des expériences du passé. La pensée n'est jamais tout à fait libre, car elle est vieille et caduque. Je suis relié à ma pensée qui est issue du passé. L'explication n'est pas la chose réelle. Je ne perçois pas les choses directement, car mes pensées sont trop vieilles, abstraites et subjectives. Les mots, les théories me tiennent lieu d'échappatoire. Sans eux, j'aurais accès à la vérité en méditant, mais je trouve ça un peu long toute la journée. La souffrance prend fin quand je cesse de la fuir et de m'identifier à elle. La peur est le fruit de la pensée. La pensée ressurgit la peur du passé, la projette dans l'avenir et la maintient dans le présent. La souffrance est imprégnée dans celui qui a peur. De conclure que la méditation et la pleine conscience sont les seules et uniques voies au bonheur. Que quelques minutes par jour suffisent pour se dégager d'un esprit malveillant ou endormi. J'ai presque épuisé les livres de ma bibliothèque à les lire et les relire. Je suis en manque d'inspiration, ça fait déjà quelque temps. J'ai arpenté les librairies, la bibliothèque, rien qui me vaille. Serais-je en dépression saisonnière ou en manque de nourriture spirituelle ? La politique ne m'émeut guère, la civilisation non plus. Ne pas chercher à me fuir ni à me distraire. Être là comme ça, n'attendant rien d'autre que mon souffle, l'un après l'autre en alternance. Je connais une femme qui ne cesse de se projeter en avant pour se divertir. Elle en a fait sa vie et son bonheur. Ça lui appartient. Ne plus avoir ni agenda, ni horaire du temps. Me laisser aller sans désirer devenir ou changer quoi que ce soit. Observer la nature et le temps qu'il fait. Dormir, encore dormir pour oublier de devenir et n'être plus rien. Cesser de lutter ou de gémir. Cesser de vouloir avancer et de plaire. Quitter ces lieux austères qui me noient à force d'y penser et d'y croire. Observer sans juger. N'être rien à part qu'un respire. Cesser de résister et me battre dans des causes qui ne sont plus les miennes. Observer en silence, sans mouvements saccadés ni agitations. Calmer mes ardeurs, mes bruits intérieurs. Ne rien prétendre, ni penser. N'être rien. M'ouvrir à la vie qui me traverse sans fléchir, sans blesser. Dormir le temps qu'il faudra à panser mes peines et mes blessures. J'irai là où il faut, même si c'est nulle part. J'appréhende cette peur de sévir contre ma volonté. Je l'ai tellement trouvé si belle à mes côtés qu'elle porte aussi mon héritage de n'être plus rien. Ne rien vouloir, blâmer ou ordonner, tout ça ne sert plus à rien. Cesser de mourir à chaque instant à trop vouloir étreindre, à trop vouloir aimer. N'être rien. Ma vie n'est qu'une trêve à n'être rien, à ne plus croire en rien et quitter ce rôle inutile. Vouloir justifier, chialer ou mordre, ne m'apaise plus. N'être rien. Ne plus m'agiter en vain à vouloir devenir une cause, un personnage ou quelque chose d'inerte comme un rien. Ce n'est plus moi qui avance, mais le temps qui me projette, indifférent au son que j'émets et au nom que je porte. Ne plus résister. Je ne suis pas celui que je crois être, mais je dois bien être quelqu'un au nom qui me précède. N'être rien à part quelques mots entre deux silences. N'être qu'un abri pour me reposer et dormir. Naître et mourir sans cesse dans l'attente de quelque chose dont je ne distingue pas la forme ni les contours. Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir. Et ensuite, plus rien qui n'arrive, ni même un souvenir qui s'émiette à n'être plus rien.

28 mars |

À la seule pensée que mon journal m'attend le soir, cela m'apporte une paix durable. Prendre conscience de soi est un geste purement éthique, grâce auquel se transforme ma manière d'être, de vivre et de voir les choses. Mes marches m'aident à voir le monde, surtout dans les lieux peu fréquentés. Un principe stoïcien dit que la connaissance de la faute est le commencement du salut. Le point de départ de la philosophie, c'est la conscience de sa propre faiblesse. Le temps à écrire et philosopher, je ne le mets pas à me déconstruire et ruminer. Que me vaut le temps à siroter la télévision et ses dérivés à comparer avec ma présence qui est mienne ? Apprendre à philosopher ne s'agit pas seulement de reconnaître mes fautes, mais aussi de constater le progrès que j'accomplis. Pierre Hadot offre un ouvrage philosophique exhaustif et ardu : Qu'est-ce que la philosophie antique ? Cet essai de grande envergure traduit plusieurs grands courants et pensées philosophiques. C'est un ouvrage complet pour acquérir des références sur la sagesse à l'aide d'exercices spirituels. J'aime la philosophie antique qui a précédé le christianisme, car elle rejoint directement les hommes au lieu de passer par Dieu et son temple. Les grandes questions de l'Antiquité étaient fondées sur la connaissance de l'esprit et de soi-même au lieu de s'appuyer sur la révélation de Dieu. Tout événement qui vient à ma rencontre a été lié par le destin depuis le commencement, disait Sénèque. Il faut un changement de vie pour être soigné. Je délaisse cet ouvrage austère pour tendre ailleurs. Quoi qu'il en soit, quelques minutes par jour de ces lectures suffisent pour élever mon âme et voir des transformations ressurgir. Ne pouvant me distraire de compagnie à ma guise, j'ai trouvé bon usage de ma lenteur à réfléchir et me poser les bonnes questions. Certains vivent la solitude en famille ou dans la foule. Être isolé et sans contact et sans amis est un malheur. Comment quelqu'un pourrait-il me décharger de ce poids d'être moi ? Être seul, c'est la vérité de l'existence humaine. On meurt seul, car personne ne peut mourir à notre place. Il en est de même pour vivre. L'amour entre deux personnes, c'est deux solitudes qui s'entraident et se complètent. La société n'est pas le contraire de la solitude, un jour cela nous frappe en plein visage. Ce n'est pas l'amour qui fait fonctionner les sociétés, mais l'argent et les rapports de force. La solitude laisse place au néant chez Narcisse, que le sage s'en est fait son royaume. Entre ces deux extrêmes, je fais ce que je peux. André Comte-Sponville fait l'éloge de la solitude qui se manifeste dans mes propres expériences. À ceux qui voudraient critiquer le monde comme je l'ai si bien fait des années durant, la société et la culture dont je parle font aussi partie de moi-même que je le veuille ou non. Pour changer les structures sociales et culturelles, je dois me transformer moi-même. Je fais face aussi au rapport de force et à l'égoïsme qui m'empêchent de m'épanouir et qui sévissent en moi en alternance avec la société. Je prends conscience de cette affirmation par le misérable revendicateur que je suis. Je me plains de la solitude de la ville, mais comment vivrais-je dans l'étroitesse du village ? La véritable révolution débute toujours de l'intérieur, disait Krisnamurti. La question à se poser est à savoir que si les sociétés sont corrompues, le suis-je aussi moi-même pour en abuser ? La communication m'est nécessaire jusqu'au jour où les mots ne le seront plus. Je n'en suis pas là, car ma raison me fait trop défaut pour m'en extraire. Les mots servent à appuyer mon raisonnement et à combler ma solitude. Transcender la raison n'est pas une tâche facile et dans laquelle, il y a lieu de s'interroger. Le manque de silence ou son contraire provoque en moi une surexcitation et de l'agitation mentale. La fragmentation de mon être est à l'œuvre dans ce que je nomme la dualité. Or, c'est cette dualité qui est source de souffrance. La reconnaître, c'est déjà l'apaiser. Deux personnages habitent l'œuvre, l'observé et l'observateur. Si je réussis à les réunir, la paix s'invitera, le calme subsistera et le conflit cessera.

27 mars |

Pour l'homme actif ou le marcheur au long cours, l'écriture est le plus intense moment d'apaisement. L'esprit se réfugie dans l'agréable fouille de la mémoire. En écrivant le soir, le voyageur de l'âme que je suis, continue sa route sur une autre surface. L'amoureux de la géographie croit calmer sa fièvre du monde dans la consultation des cartes. Elles font lever dans les voiles intérieures un vent d'excitation appelant les grands départs. J'ai souvent surestimé mes destinations. Avant d'y arriver, il y a toujours les banlieues industrielles que je ne voyais pas dans mes songes ou sur les cartes. Les longs tracés que représentent les autoroutes sont toujours plus laids en réel que sur le papier et le sera pour toujours. L'aventure se rétrécit à mesure que la civilisation progresse. La nature fait place à aux moteurs d'acier et aux bruits de la foule délirante. Les arbres rétrécissent ou en mourant dans toutes les directions. On appelle cela le progrès. En plus du dépaysement, j'ai aussi recherché l'humanité. Depuis, j'ai déboulonné l'homme de son piédestal. Je crois de moins en moins en lui pour renouveler mes rêves. Les hommes ne sont plus en haut de la grande pyramide des vivants, c'est ce que j'ai découvert de mes aventures. C'est toujours dans les chemins de traverse que j'ai rencontré les plus beaux spécimens. Une moitié de l'humanité oppresse l'autre partie, peu importe la direction des vents. À chaque destination riche et flamboyante se réfugient à ses pieds, des bourgs d'une pauvreté extrême. Pour qu'une cité obtienne des décors étincelants, une partie des hommes qui l'habitent à ses côtés meurent abruptement. Pour qu'un château s'élève, des esclaves souffrent de poser ses pierres. Suis-je réaliste ou pessimiste à décrire le monde qui m'entoure ? Ne voir que le beau côté des choses m'est impossible, car je connais trop le monde pour me mettre la tête dans le sable. Il n'y a que dans les vallées himalayennes et scandinaves que la vie des hommes est digne et juste. Qu'après avoir parcouru de nombreux pays où rien ne change, quels autres chemins me restent-ils à parcourir pour rejoindre le paradis, s'il existe ? Sur les chemins de traverse, les hommes ont peur aussi que le progrès les agrippe et les assimile. L'Amérique est déjà à un point de non-retour avec tous les franchisés et les soumis dictant à l'homme la marche à suivre pour perdre sa vie à faire grimper la bourse. Vivement les chemins de traverse pour sentir le vent temporaire de la liberté. Poissons, plus vous serez loin des hommes, mieux cela vaudra pour vous. Sylvain Tesson dit ne plus avoir soif de ses semblables. Bien entendu, il y a des hommes d'exception qui ne s'agite guère. Une fois que l'humanisme a perdu du terrain dans l'âme, le vagabond ne se met plus en route sur les chemins du monde dans l'unique souci de rencontrer des hommes. C'est ce que j'ai compris depuis les cinq années sur la route en solitaire. Le monde ne festoie plus qu'autrefois en se rétractant sur lui-même et à force de frapper le mur de l'indifférence. Tout ce qui ne rapporte guère aujourd'hui n'a plus grande importance pour lui. C'est ainsi que l'humanité perd son souffle avant de mourir asphyxiée. C'est ainsi que l'humanité rejète celui qui l'a fécondé. En voyageant dans les endroits trop sauvages, j'ai le vertige. Je préfère rester à distance, dans le sillon des villages, à humer les rumeurs du temps. Comment fait le vagabond de ma sorte pour habiter les murs de la ville ? M'est-il possible de survivre sous la cloche de verre des cités de pierres et du goudron ? Je vis dans la ville sans jamais y être. J'endosse l'habit du citadin sans jamais abandonner mes ailes qui me permettent de m'y échapper. Je vis dans la cité en poète sans jamais quitter la route. Heureusement, je connais les failles de la citadelle, m'évitant ainsi les grands boulevards et la foule. 

Philosopher, c'est me remettre en question parce que j'éprouve le sentiment de ne pas être ce que je devrais être. Être philosophe n'est pas dans le discours, mais dans la façon que je vis. Le discours en lui seul ne suffit pas à lui-même. Parfois, je me surprends à disserter sur la vie des hommes au lieu de vivre moi-même en homme. Le choix de vie détermine le discours et le discours détermine le choix de vie. Pour vivre philosophiquement, il faut exercer une action sur soi-même et sur les autres, aussi minime soit-elle. J'aborde la définition du monde uniquement par les atomes, ce que les anciens nommaient les atomistes, les croyants de la conception du monde. Quoique l'on fasse, des lois nous prémunissent d'une destinée par la volonté et le hasard en contrepartie. La philosophie a pour moi une portée éducatrice et thérapeutique. Je ressens profondément la transformation du moi à ses côtés. Plutarque a dit de la philosophie qu'elle inspire tout ce qu'elle touche, provoque des élans moteurs, des choix en faveur du bien et des jugements d'actes utiles. Il ne suffit pas de relire des mots, mais de comprendre leurs sens. Je m'accorde avec Épicure devant laquelle une concentration sur moi-même doublée d'une conscience liée à une ascèse, consiste à me limiter aux désirs naturels et nécessaires m'assurant ainsi un plaisir stable. Pour Épicure, pour atteindre cette conscience de soi, il faut savoir séparer le moi de ce qui lui est étranger, c'est-à-dire des passions et des désirs vains de l'âme. La vie de l'insensé se rue tout entière vers le futur. C'est à l'âge de la retraite que bien des choses m'apparaissent dans le moment présent, car l'avenir et ses promesses se font de plus en plus avares.


26 mars |

Tout fout le camp, disent les vieux qui ne comprennent plus rien. En fait, rien ne fout le camp, ce sont les gens qui ne tiennent plus en place. Longtemps, je ne supportais pas que le soleil, à son lever, parte sans moi. La seule question qui vaille : que faire ? Partir fut la meilleure réponse. Morand disait qu'ailleurs est un mot plus beau que demain. S'asseoir sous un arbre est certes une voie possible ; pour celui qui l'a choisie, c'est la fin de l'histoire, l'accès à la sagesse. Je préfère pour l'heure arpenter la forêt. Le voyage est cette surface qui est offerte à la pensée pour divaguer en toute liberté. Sylvain Tesson me raconte un récit contre l'ordre établi dans le petit traité sur l'immensité du monde. Ouvrir les yeux sur la route est un antidote au désespoir. J'ai abreuvé mon regard de tant de beautés, pris des clichés sans que je me lasse, que je m'en suis fait un point d'honneur et de distinction. J'ai pêché des images comme on lance un filet. Lorsqu'on sait que la terre est grande, comment perdre du temps sur son misérable tas de secrets intérieurs, disait Tesson. Le vagabond que je suis, ou qu'il ne sait plus, cherche à se fortifier plutôt qu'à se soigner. Le temps du monde fini commence, disait Valéry. Les espaces libres et les terrains vagues se sont tus. À chaque jour, des espèces disparaissent dans le spectre de l'humanité. Le divers décroît. Près d'ici, il y a un concours pour celui qui tuent le plus de corneilles. Que restera-t-il lorsque tous les paysages seront fécondés de notre indifférence ? Tout comme Tesson, j'ai appris que l'essentiel pour bien vagabonder est de ne pas le faire dans une nature hostile, car la nécessité de survivre aux embûches convoquerait toute l'énergie et ne laisserait au vagabond aucune jouissance de son état de liberté. De toute ma vie, j'ai préféré m'échapper au lieu de me battre. L'existence doit avoir son lot d'imprévus et de beautés que je ne retrouve pas dans cette ville qui prend l'allure de refuge en attente de nouveaux départs.  La route et les larges horizons m'interpellent sans cesse pour ne pas croupir dans mes propres murs. De nouvelles promesses émergeront bientôt pour me raviver de gaieté et d'espoir.